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Résumé:Nadia Eghbal, dans son ouvrage Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? (Open editionspress 2017) pointe...
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Nadia Eghbal, dans son ouvrage Sur quoi reposent nos infrastructures numériques ? (Open editionspress 2017) pointe du doigt un problème aussi grand qu’il passe inaperçu par beaucoup de nos contemporains : « Tout, dans notre société moderne, des hôpitaux à la Bourse en passant par les journaux et les réseaux sociaux, fonctionne grâce à des logiciels. Mais à y regarder de plus près, les fondations de cette infrastructure logicielle menacent de céder sous la demande. Aujourd’hui, presque tous les logiciels sont tributaires de code dit open source : public et gratuit, ce code est créé et maintenu par des communautés de développeurs ou disposant d’autres compétences. Comme les routes ou les ponts que tout le monde peut emprunter à pied ou avec un véhicule, le code open source peut être repris et utilisé par n’importe qui, entreprise ou particulier, pour créer des logiciels. Ce code constitue l’infrastructure numérique de la société d’aujourd’hui, et tout comme l’infrastructure matérielle, elle nécessite une maintenance et un entretien réguliers. Aux États-Unis par exemple, plus de la moitié des dépenses de l’État pour les réseaux routiers et ceux de distribution d’eau est consacrée à leur seule maintenance. » Avec le logiciel libre, la production de logiciel est plus simple et considérablement moins chère, le logiciel libre est directement responsable de la renaissance actuelle des startups, enfin le logiciel libre a simplifié l’apprentissage de la programmation, rendant la technologie accessible à tous, partout dans le monde.

L’auteur relève que le milieu de l’open source a parfois des problèmes avec l’argent. Pour beaucoup de ses promoteurs, l’argent est en effet susceptible de corrompre le système même de l’open source. Cette méfiance va de pair avec son système de démocratie décentralisée où il est parfois difficile de prendre des décisions faisant autorité. Néanmoins les infrastructures ont un coût non négligeable qu’il s’agit de supporter. Plusieurs solutions sont envisagées pour pallier à ce défaut systémique de financement. Il est question par exemple de la récompense : elles peuvent être l’occasion d’un don pour réaliser un travail particulier. C’est le cas par exemple d’IBM qui propose régulièrement sur le site Bountysource des récompenses pour créer de nouvelles fonctionnalités liées à divers projets. Certains vont cependant pointer du doigt ce système en affirmant que loin de contribuer à la sécurité des infrastructures il peut au contraire le fragiliser. Ainsi Jeff Atwood, le créateur de Stack Overflow : « L’un des effets pervers de cette tendance à attribuer des récompenses pour les rapports de bugs est que cela n’attire pas seulement de véritables programmeurs intéressés par la sécurité, mais aussi toutes les personnes intéressées par l’argent facile. Nous avons reçu trop de rapports de bugs de sécurité « sérieux » qui n’avaient qu’une importance très faible. Et nous devons les traiter, parce qu’ils sont « sérieux », n’est-ce pas ? Malheureusement, beaucoup d’entre eux ne représentent qu’un gaspillage de temps… Ce genre d’incitation me semble vraiment néfaste. Même si je sais que la sécurité est extrêmement importante, je suis de plus en plus inquiet face à ces interactions parce qu’elles me demandent beaucoup de travail et que le retour sur investissement est très faible. » Un autre modèle est celui des services : un projet open source peut par exemple proposer des services à des entreprises, notamment en consulting, mais on s’éloigne ici du projet initial de l’open source pour aller vers le simple entreprenariat. Ensuite il y a la possibilité de faire payer des licences. Cette politique va apriori à l’encontre de l’open source, mais en 2015 l’entreprise Sourcegraph a conceptualisé la notion de Licence Fair Source pour permettre aux individus et aux PME de bénéficier de la licence avec les avantages de l’open source tout en la faisant payer pour les grosses entreprises qui pourraient en tirer un gros avantage commercial. Plus simplement, il existe aussi la possibilité de faire appel à des mécènes ou des donateurs pour participer au financement des open sources. Parmi ces possibilités nous observons le développement de plateformes permettant le financement participatif (crowdfunding).

Les développeurs des logiciels open source ne font pas cela par pur altruisme. Souvent ils ont développé tel ou tel programme pour résoudre leurs propres problèmes. Les infrastructures sont déjà là et constituent des éléments fondamentaux touchant à des problèmes publics sur lesquels nous ne pouvons pas faire l’impasse comme la question des données personnelles. Beaucoup de communautés open source sont déjà importantes et très actives, comme Python ou JavaScript. Il importe désormais de les soutenir, ainsi que les nouvelles communautés qui continuent de se créer chaque jour en ayant conscience que l’espace du numérique est désormais un espace avec des infrastructures qui relèvent du bien public.

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À propos de l'auteur

Édouard Jourdain

Edouard Jourdain est docteur en sciences politique et en philosophie de l’EHESS où il a soutenu une thèse intitulée « Le politique entre guerre et théologie. La révision du marxisme et l’ombre de Carl Schmitt ». Spécialiste de Proudhon, Il a publié entre autres Proudhon, Dieu et la guerre (l’Harmattan, 2006), Proudhon, un socialisme libertaire (Michalon, 2009) et L’anarchisme (La découverte, 2013). Chargé de mission sur le projet Conventions (Enjeux croisés du droit de l’économie et de la mondialisation), ainsi que sur les séminaires de philosophie du droit et de philosophie politique, il enseigne aussi la théorie politique notamment à l’Ecole nationale des ponts et chaussées et à l’Institut catholique de Paris.