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1. La FEMIP regroupe depuis 2002 l’ensemble des instruments de la BEI en faveur du développement économique et de l’intégration des Pays partenaires méditerranéens (PPM) : pourquoi un tel département au sein de la BEI ? Quels enjeux pour les PPM d’une part, et pour l’Union européenne de l’autre ?
Outre sa mission au sein de l’Union européenne, la BEI a été associée dès les indépendances aux politiques européennes de coopération au développement envers les pays tiers ; pour simplifier, la Banque gère le volet « aide remboursable » et la Commission européenne met en œuvre les dons. C’est ainsi que nos premiers prêts en Méditerranée remontent au milieu des années 1960 ; ils ont, depuis, suivi les différentes formes institutionnelles de la relation Europe-Méditerranée. En mars 2002, dans le cadre du processus de Barcelone, le Conseil européen a souhaité donner une nouvelle impulsion à notre action, tant en volume qu’en types d’instruments financiers. La Banque a donc créé la FEMIP, dont les objectifs sont d’accélérer la modernisation de ces économies et de renforcer l’intégration de la région afin de générer une croissance plus forte et plus juste, capable de mieux répondre aux attentes des populations. Il s’agit, d’une part, de soutenir le développement du secteur privé, pour créer les millions d’emplois qu’appelle la démographie de ces pays et, d’autre part, de rattraper le retard en infrastructures socio-économiques, notamment dans le contexte du formidable exode rural qui va amener 100 millions d’urbains nouveaux au sud de la Méditerranée en 2030.
2. Comment la FEMIP détermine-t-elle ses priorités d’investissements, en termes sectoriels et géographiques ? Quelle est l’articulation avec l’action d’autres acteurs du développement dans la région méditerranéenne ? Les pays « destinataires » d’investissement peuvent-ils peser sur la définition de ces orientations ?
Pour identifier les besoins les plus urgents et les moyens d’y répondre, la FEMIP anime un dialogue permanent avec les neuf pays partenaires[1. Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Israël, Jordanie, Territoires palestiniens, Syrie, Liban], les acteurs du développement de la région, le secteur bancaire local et européen. Ainsi, depuis sa création, la FEMIP a investi plus de 12,5 milliards d’euros : ses prêts vont en priorité aux PME, aux investissements directs étrangers, mais aussi aux utilités collectives comme les services en énergie, la gestion des eaux, les transports publics, etc. Parallèlement, nous apportons notre soutien aux infrastructures sociales comme la refonte de l’éducation ou de la formation professionnelle (Maroc, Tunisie et Jordanie), la santé (Tunisie, Syrie et Maroc), le développement urbain (Égypte, Syrie, Jordanie, Maroc, Tunisie), la reconstruction du Liban, etc. Notre action dépasse le volet financier puisque nous procurons de l’assistance technique à projets et surtout à la modernisation des politiques publiques et que nous avons développé des cycles de conférences FEMIP qui permettent d’associer étroitement les pays partenaires à la réflexion sur les enjeux et sur les orientations de nos actions.
Cet ensemble fait de la FEMIP l’acteur de référence du développement dans la région ; nous sommes ainsi à même d’impulser une étroite concertation avec les bailleurs européens et bilatéraux (avec qui nous cofinançons près de la moitié des projets). De fait, les ministres des Finances de l’Euro-Méditerranée, à présent Union pour la Méditerranée (UPM), nous ont investis d’un rôle de coordinateur de plusieurs priorités de l’UPM : le Plan solaire, les Autoroutes maritimes et terrestres et la Dépollution de la Méditerranée.
3. Les pays méditerranéens, particulièrement sensibles au changement climatique, vont être confrontés à la rareté des ressources en eau. Quel est l’objectif de la FEMIP concernant ce problème et plus largement quelle est sa politique dans le cadre des sommets de Copenhague et de Cancún ?
La Méditerranée est une mer fermée, exposée à la pression d’une population dense concentrée sur 10 % du territoire : le littoral, et une voie de passage surexploitée : 30 % du commerce mondial des hydrocarbures l’emprunte journellement. C’est donc une des zones les plus sensibles du globe, comme l’a mis en évidence une étude que nous avons réalisée avec le Plan bleu, à la veille du sommet de Paris de juillet 2008.
L’adaptation au changement climatique c’est d’abord une meilleure gestion de l’eau et aussi une politique énergétique plus rationnelle. Dans ces deux domaines, nous avons conduit la réflexion et animons l’initiative « H2020 » de l’Union européenne qui consiste à identifier puis réduire progressivement les quelque soixante-dix-neuf points de pollution dont souffre la Méditerranée. Parallèlement, nous appuyons la diversification des sources d’énergie dans le cadre du Plan solaire de l’UPM, en particulier au Maroc, Égypte et Tunisie. Enfin, nous portons notre effort de conviction auprès des pays partenaires pour la modernisation de leurs politiques publiques dans les domaines de l’eau et de l’énergie, notamment sous le volet de la gestion de la demande. Une part importante de ces réflexions sont conduites conjointement avec les autres bailleurs du développement dans le cadre du Centre méditerranéen d’intégration (CMI)[2. Voir http://www.cmimarseille.org/FR/] que nous avons fondé, en octobre 2009 à Marseille, avec la Banque mondiale et six gouvernements méditerranéens. Dans ce cadre, nous préparons d’ailleurs une importante contribution au 6e Forum mondial de l’eau de mars 2013.
Tout ceci reflète notre expérience et notre engagement européen au service des politiques issues des accords de Kyoto et de leurs dérivés. Notre contribution aux objectifs de prévention du changement climatique en Europe (les « 3 fois 20 ») a atteint quelque 25 milliards d’euros en 2010. Nous nous efforçons d’en transférer les enseignements et les bonnes pratiques au sud de la Méditerranée.
4. La FEMIP, lorsqu’elle prête aux Pays partenaires méditerranéens, est confrontée à un environnement peu ou pas régulé. Cela a-t-il une influence sur le volume d’octroi de prêts ? Dans quelle mesure la FEMIP contribue-t-elle à l’émergence d’un cadre plus favorable aux investissements ?
Il est sans doute exagéré de dire que l’environnement dans les pays partenaires méditerranéens est peu ou pas régulé. Toutefois, il reste des progrès à accomplir, d’ailleurs variables selon les pays, pour améliorer l’environnement juridique et réglementaire des affaires. N’étant pas un législateur, la FEMIP agit de manière qualitative par la prise de conscience et la circulation des meilleurs savoir-faire. Avec notre assistance technique et à travers le dialogue, nous proposons des solutions enrichies de notre expérience gagnée dans des pays très divers ; dans le respect de la souveraineté de nos pays partenaires et des usages locaux, nous contribuons à faire évoluer les comportements.
Permettez-moi d’illustrer ce propos de manière très concrète par le sujet du recours aux Partenariats publics-privés (PPP) : avec plus de 300 milliards d’euros d’investissements à réaliser dans les infrastructures d’utilités collectives au sud et à l’est de la Méditerranée d’ici à 2030 (notamment pour la gestion des eaux, les services urbains et l’énergie), les Pays partenaires méditerranéens devront rapidement développer leur capacité à mobiliser le secteur privé et leur attractivité aux investissements directs étrangers. C’est pourquoi, la FEMIP vient de lancer un ambitieux programme d’assistance technique sur trois ans, destiné à favoriser le recours aux contrats de partenariat public-privé en Méditerranée. La première étape de ce programme s’est concrétisée à Paris, ce 10 février, par la tenue, au siège de l’OCDE, d’un séminaire d’experts sur « Les perspectives des PPP dans la région Méditerranée ». Ce séminaire a permis de lancer une étude sur « Le cadre légal et financier des PPP dans les pays de la FEMIP[3. Étude réalisée sur financement du Fonds fiduciaire FEMIP alimenté par les contributions de quinze États membres et de la Commission européenne (plus d’informations sur le site de la BEI : www.bei.org/ftf/)]» dont les conclusions seront débattues à la 9e conférence de la FEMIP, qui se tiendra à Casablanca le 30 mai 2011. Suivant les priorités géographiques et sectorielles identifiées avec nos partenaires à Casablanca, nous mettrons en œuvre des recommandations opérationnelles et une assistance à la mise en place de politiques de recours aux PPP dans les pays qui en feront la demande. Cette importante série d’actions sera suivie par une assistance technique complémentaire destinée à la gestion de l’appel au marché.
5. Les événements récents en Tunisie vous semblent-ils de nature à redonner une impulsion aux projets plus ambitieux d’intégration économique et financière de l’espace méditerranéen ?
Bien sûr ! Le processus de démocratisation lancé par la Tunisie es
t un exemple et un encouragement pour tous les peuples qui aspirent à plus de liberté et à de meilleures conditions de vie. Car, ne l’oublions pas, ce sont toujours des conditions de précarité économique qui déclenchent ces changements politiques. Face à ces bouleversements et à ces aspirations, l’Europe a la responsabilité de repenser sa politique méditerranéenne et la Banque européenne d’investissement est déterminée à apporter sa contribution à cette évolution.
En coopération étroite avec la haute représentante pour l’action extérieure, Mme Catherine Ashton, nos États membres et la Commission européenne, nous nous employons activement à mobiliser des moyens complémentaires pour élargir notre action, tant en volume qu’en identifiant des priorités qui apporteront aux populations une illustration très tangible de la solidarité européenne. Dans cet esprit, je pense que nous pouvons doubler dès cette année nos financements à la Tunisie et que, dès que les conditions le permettront, nous pourrions également accroître significativement notre aide à l’Égypte ; avec nos partenaires financiers européens, nous avons déjà identifié une série d’investissements prioritaires pour ces pays dont le montant totaliserait près de 5 milliards d’euros.
À plus long terme, si l’on se projette dans les vingt prochaines années, les défis pour l’intégration économique et financière de l’espace méditerranéen sont énormes et doivent être rapidement résolus. J’ai déjà évoqué les questions d’emploi, d’urbanisation et d’accès aux biens essentiels que sont l’eau, l’énergie et la santé ; il faudra y ajouter les enjeux fondamentaux de la sécurité alimentaire et de la sécurité régionale. À terme, il n’y aura donc pas d’alternative à la coordination renforcée et à l’intégration pour servir les moyens d’une croissance plus durable et plus juste en Méditerranée. Pour sa part, la FEMIP se tient prête pour apporter ses ressources et son expertise, voire pour sceller les bases d’une institution financière méditerranéenne puissante. Des réponses ambitieuses sont requises et nous n’avons pas de temps à donner au temps !