Autant les travaux en sciences économiques sont légion sur la question du commerce des produits agricoles, autant les analyses juridiques, en particulier les réflexions à l’échelle du droit international, sont rares. L’ouvrage d’Éric Adam vient donc combler un vide sur un sujet pourtant au cœur des enjeux de régulation internationale.
La problématique de la régulation du commerce des produits agricoles est cruciale en ce qu’elle est soumise à des contraintes symptomatiques de notre époque (défis démographiques, écologiques et économiques) et renvoie à des enjeux fondamentaux pour la société internationale. Droit à l’alimentation, sécurité alimentaire, droit au développement, traitement de la pauvreté rurale, sont autant de thématiques qui traversent le sujet du commerce des produits agricoles. Revenu en haut de l’agenda international du fait des crises alimentaires de 2008 et 2011, ce sujet a essentiellement été traité sous l’angle de la volatilité des prix des matières premières agricoles. Et force est de constater que les recommandations internationales en la matière, spécialement dans le cadre du G20, ont été soit en retrait par rapport aux ambitions initiales (transparence des marchés agricoles), soit non mises en œuvre (suppression des restrictions aux exportations alimentaires pour le Programme alimentaire mondial), tant les crispations diplomatiques sont fortes et la gouvernance internationale faible.
Cet ouvrage, structuré autour de cinq parties, ouvre des perspectives plus larges que la question de la volatilité des prix agricoles et de la sécurité alimentaire, puisqu’il porte, pour la première fois concernant un manuel universitaire, sur l’ensemble des matières qui forme le droit international de l’agriculture. Facile d’accès grâce à une écriture claire et des exposés pédagogiques, il propose une grille de lecture à la fois exhaustive et dynamique du droit international de l’agriculture. La qualité du livre gagne également par le double profil de l’auteur, universitaire et praticien du droit, ce qui rend la lecture d’autant plus instructive qu’elle est inscrite dans le réel.
Éric Adam consacre une première partie à la série de défis que pose la question agricole dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Cette partie « introductive » donne à réfléchir aux enjeux démographiques, écologiques, économiques et de gouvernance du commerce des produits agricoles. L’analyse ne se veut pas ici exhaustive puisque sont « balayés » les principaux enjeux, mais se révèle très pédagogique, notamment grâce aux encadrés qui livrent utilement quelques chiffres clés sur chaque défi.
Le cœur de l’analyse du droit positif est ensuite contenu dans les parties 2, 3 et 4 de l’ouvrage. La deuxième partie a pour objet de mettre en évidence les carences des initiatives internationales pour l’organisation du commerce des produits agricoles. Si l’auteur aborde effectivement les difficultés pour instaurer des mécanismes internationaux de régulation, cette partie retrace également les origines de la coopération internationale agricole, en particulier des accords internationaux sur les produits de base, et fait un état des lieux de certains cadres et instruments internationaux qui structurent le marché agricole, y compris, de manière plus surprenante, les acteurs de droit privé. La troisième partie est consacrée pleinement au volet droit de l’OMC du commerce agricole. Après une analyse plus classique des principes généraux du commerce international, Éric Adam propose une lecture très détaillée et pédagogique de l’accord sur l’agriculture de l’OMC, ainsi que des négociations et des différends emblématiques en matière agricole. La fluidité de l’écriture et la clarté du propos rendent cette partie précieuse pour tout universitaire ou praticien, peu habitué à la complexité et au langage du droit international agricole, qu’il s’agisse des différents types de soutien interne (catégories verte, bleue, etc.) ou des règles relatives à la concurrence à l’exportation. La quatrième partie, consacrée aux considérations sociales et environnementales dans le droit international agricole, se révèle aussi très didactique. Elle propose une approche assez dynamique de la question grâce aux différents thèmes que l’auteur déploie pour sa démonstration, notamment sur le droit à l’alimentation, la question foncière et la multifonctionnalité de l’agriculture.
Mais l’originalité de l’ouvrage, au-delà de son caractère novateur, tient également à sa cinquième partie, rédigée en forme de proposition politique et juridique. L’auteur présente en effet un nouvel accord plurilatéral pour les produits de base. Prenant acte de l’impasse à l’échelon multilatéral, Éric Adam plaide pour une appréhension globale de la problématique des produits de base avec un nouveau cadre institutionnel autour de l’OMC et de la CNUCED. Partie la plus originale du livre, elle est aussi naturellement la plus soumise à débat. Classiquement, la faisabilité d’une telle initiative peut toujours être sujette à caution, dans un contexte où certaines organisations internationales comme la CNUCED sont fortement critiquées. Mais surtout, articulée autour d’une conception normative du libéralisme, la proposition d’Éric Adam n’échappe pas à la critique d’un certain nombre de spécialistes, au premier rang desquels Olivier De Schutter, auteur de la préface de l’ouvrage. Selon ce dernier, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, ce n’est pas tant le commerce mondial des produits agricoles qu’il faut promouvoir (ce qui a d’ailleurs orienté les politiques de développement agricole au bénéfice d’un petit nombre de producteurs au sein des régions les plus compétitives), mais avant tout la sécurité alimentaire qu’il convient d’ériger en principe. Si le diagnostic est commun, ce sont donc les remèdes qui diffèrent, et gageons que le dialogue ainsi amorcé puisse ouvrir vers des perspectives prometteuses.