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Résumé:La revue Politique étrangère, n° 4, hiver 2014-2015 a publié un dossier dirigé par Julien Nocetti sur...
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gouvernanceLa revue Politique étrangère, n° 4, hiver 2014-2015 a publié un dossier dirigé par Julien Nocetti sur “Internet : une gouvernance inachevée”. Il a pour objet de contribuer à l’expertise sur le sujet de la gouvernance de l’internet qui fait trop souvent l’objet de représentations idéologiques et politiques binaires (espace de liberté / moyen de contrôle ; régulation publique / dérégulation privée) et, de ce fait, inadaptées à sa complexité. Ce tour d’horizon permet de mieux cerner les évolutions du numérique et de penser un ou des modèles aptes à en assurer une bonne gouvernance.

L’introduction par Julien Nocetti présente les principales problématiques actuelles liées à la gouvernance de l’internet et souligne l’inéluctable évolution du modèle actuel, dénommé « multiparties prenantes », amené à se re-politiser. Il interroge à tour de rôle la notion même de gouvernance, la place des États dans cette nouvelle architecture de la gouvernance numérique et les implications de la récente révolution causée par l’affaire Snowden.

La gouvernance de l’internet après Snowden par Bernard Benhamou analyse les conséquences de l’affaire Snowden sur les institutions et les usages numériques. Ainsi, selon cet auteur, l’affaire Snowden a ébranlé un des principes fondamentaux de l’évolution – jusqu’à ce jour « paisible » – de l’internet : la confiance des usagers et des industriels. Ceci entraine ou accélère un inévitable débat sur les données et leur contrôle, les métadonnées et le pouvoir des plateformes, les relations entre les organismes responsables de la régulation de l’internet et le gouvernement américain, la capacité d’appropriation collective en tant que clef de voute de l’architecture numérique… Cette crise de confiance représente également une opportunité mondiale – et notamment pour l’Europe – pour refondre et élaborer un nouveau cadre juridique et une politique de gouvernance. Dans cette nouvelle ère, l’autolimitation des Etats en terme de surveillance et de main mise devra être prescrite ; la simplification du design et de l’ergonomie des technologies devra être développée, notamment en vue d’une meilleure maitrise des données par les utilisateurs ; les structures critiques de l’internet devront être mieux sauvegardées ; et les principes fondamentaux d’ouverture, d’interopérabilité et de neutralité auront tout intérêt à être inscrits dans une charte supérieure à toute loi nationale.

Internet et les errances du multistakeholderism par Françoise Massit-Folléa nous invite à interroger le modèle de gouvernance multi-parties prenantes amorcé depuis le début des années 2000. Dans le contexte actuel de dérégulation et de mondialisation et dans le prolongement des débats issus de NetMundial, ainsi que des révélations de l’affaire Snowden, l’auteur retrace, de façon critique, les origines de ce modèle à travers les exemples de l’ICANN et de l’Internet Governance Forum avant de questionner un acteur clef en la matière, « la société civile internationale ». Ainsi, analysant ce mode de gouvernance « où la décision est déconnectée des débats », l’auteur pointe une « absence de définition claire du processus et une réalité beaucoup plus rebelle aux enjeux de pouvoir ». Elle souligne ainsi l’ambigüité des discours inhérents aux institutions de gouvernance qui prônent chacun la sécurité et la stabilité de l’internet ainsi que la participation de l’ensemble des acteurs, mais qui, au regard des résultats des différents sommets n’ont pas permis de véritable évolution du statu quo.

Par ailleurs, l’auteur déconstruit la notion de « société civile internationale », acteur devenu central dans l’architecture de la gouvernance de l’internet, en re-contextualisant la notion au travers des différents sommets qui ont eu lieu. Elle interroge ainsi son niveau de cohérence institutionnelle, ses représentations dans les enceintes internationales, notamment à l’ONU, ainsi que ses problèmes récurrents de représentativité et de légitimité, voire, dans certains cas, de contre productivité. Enfin, l’auteur propose de réfléchir à une stratégie concrète de gouvernance en s’extirpant des concepts vagues pour se concentrer sur les principes et les modalités d’action appropriés à chacun des secteurs et des acteurs en jeu.

Puissances émergeantes et internet : vers une « troisième voie » par Julien Nocetti aborde la question de la gouvernance de l’internet d’un point de vue des relations internationales. Axant ses développements sur les pays émergents qui ont, notamment depuis les révélations de l’affaire Snowden, fortement pris conscience de leur poids politique, technologique et numérique, l’auteur interroge les équilibres présents et futurs des différentes puissances et confronte leurs diverses conceptions de la gouvernance de l’internet. Partant du constat de la désoccidentilisation de l’internet, il décrit l’arrivée sur le marché numérique de nouvelles entités, chinoises, russes, indiennes capables de concurrencer Google et rappelle la connexité entre monde virtuel et réalités sociales et économiques. A partir de l’historique de la contestation de la mainmise américaine en matière de gouvernance de l’internet et des récentes fortes prises de positions des pays émergeants, il décrit avec précision les visions propres à chacune d’entre elles et les enjeux géostratégiques qui leur sont liés. La gouvernance révèle en réalité un jeu d’alliances à géométrie variable que l’Occident aurait tout intérêt à s’approprier s’il souhaite sortir du statu quo et (ré)inventer la gouvernance de l’internet de demain.

Neutralité de l’internet : dépasser les scandales par Francesca Musiani donne un aperçu des enjeux qui sous tendent les débats sur la neutralité du net qui est devenu un enjeu global de premier plan et qui dépasse désormais les « simples » questions d’architecture et d’infrastructure de l’internet. En effet, si la neutralité concerne bien la question du transport des contenus numériques, ses enjeux, politiques, économiques et sociaux sont considérables : ils interrogent le modèle même de l’internet, la question de sa viabilité, de la répartition des revenus, de la discrimination des données, de la transparence et des droits numériques individuels. Car en fin de compte, l’auteur rappelle que toucher à l’architecture de l’internet, c’est toucher à l’agencement des pouvoirs. Elle rappelle ensuite les risques potentiels, par l’altération de cette neutralité, de créer un internet à plusieurs vitesses et insiste sur la nécessité de s’entendre sur la définition de ce concept. L’enjeu est en effet crucial, puisque modifier la neutralité du net revient à modifier l’accès à l’internet et aux services numériques. Pour cela, il convient de ne pas dissocier les réflexions sur la neutralité du net de son contexte et de ses implications économiques et concrètes ; et de considérer ces débats comme un laboratoire des processus de gouvernance qu’on ne peut vraisemblablement pas dissocier.

La révolution Big Data par Viktor Mayer-Schönberger invite le lecteur à prendre la mesure du changement de paradigme qu’implique l’arrivée des Big Data dans nos sociétés. Au delà d’une modification de nos modes d’approche, c’est une modification de notre vision du monde qui est en cours. Selon lui, les Big Data engendrent une nouvelle création de sens dans notre monde contemporain et il s’agit d’insister sur les effets positifs de cette révolution : les Big Data permet en effet de mieux prévoir l’avenir, transforme nos méthodes de recherches et d’accès à la connaissance et permet de sortir des descriptions de la réalité par catégories préconçues. Pour l’auteur, les données sont la nouvelle matière première, aux bénéfices infinis, et constituent l’enjeu numéro un pour l’ensemble des acteurs mondiaux : les entreprises transforment leur business model en pénétrant de nouveaux marchés et les Etats émergents ont pris conscience de l’avantage compétitif que constituent les données dans la mondialisation. Toutefois, l’auteur met en garde contre les dérives des Big Data, notamment, avec la question de la piraterie, des prévisions probabilistes des comportements humains susceptibles d’entrainer une dictature des données. Le débat sur les données est à son état embryonnaire, mais il éclipsera bientôt, selon l’auteur, celui sur la gouvernance de l’internet et constituera le nouveau champ de bataille numérique.

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À propos de l'auteur

Sarah Albertin

Avocate et juriste de formation, Sarah Albertin est spécialisée en droit européen (université Paris 2) et en droit pénal. Associée aux travaux de l’IHEJ depuis 2009, elle a d’abord travaillé à la coordination des émissions radiophoniques « Le Bien Commun » (devenues « Esprit de Justice »), produites par Antoine Garapon sur France Culture. Dans le même temps, Sarah Albertin a participé au programme Conventions sur les questions de droit global, en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, et coordonné un projet de recherche sur le whistleblowing, en partenariat avec l’ESCP. Après une expérience professionnelle à New York au sein du cabinet d’avocats Kelley Drye, elle a obtenu le CAPA fin 2013 puis intégré le cabinet d’avocats VIGO à Paris, où elle a suivi des dossiers en droit pénal et droit pénal des affaires jusque fin 2014. Elle assure aujourd’hui des missions de veille documentaire et de recherche dans le cadre des projets Conventions sur la mondialisation.