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Le 14 juillet 2014, le Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies adoptait une résolution fortement contestée sur l’« élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant pour les sociétés transnationales (STN) et autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme » (plus connu sous l’appellation de « Résolution Équateur »1A/HRC/RES/26/9, adopted by a recorded vote (20 to 14, with 13 abstentions) . Cf. le texte : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/26/L.22/Rev.1.), qui pourrait représenter une étape fondamentale dans le processus de réglementation de la conduite des très grandes entreprises au niveau mondial. Cette résolution soulève cependant plusieurs questions, de doctrine et de politique, que cet article tentera d’expliquer brièvement.

La première initiative des Nations unies dans le domaine du respect des droits de l’homme par les entreprises date de la fin des années 1970, avec la négociation d’un « Projet de code de conduite sur les sociétés transnationales » (« Projet de code »), qui finit par échouer en 1992. Une nouvelle initiative est alors prise en 1999, avec le lancement d’un « Pacte mondial » par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan 2Le Pacte mondial est un ensemble de dix principes que les entreprises acceptent volontairement de mettre en œuvre dans leurs opérations. Toutefois, il est sujet à beaucoup de critiques, en raison de son caractère volontaire et de son absence de recours efficace.. Notons néanmoins que ces deux instruments, ainsi que d’autres du même type 3 Les plus importants sont la « Déclaration de principe tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale » de l’OIT (dernière mise à jour en août 2014) ; et « les principes directeurs pour les entreprises multinationales » de l’OCDE (dernière mise à jour en mai 2011) ; et, au niveau des ONG, cf. « les lignes directrices relatives aux droits de l’homme pour les entreprises d’Amnesty International »., n’étaient pas destinés à avoir d’effets juridiquement contraignants.

La première véritable tentative d’imposer des obligations juridiques aux sociétés transnationales démarre en 2003, lorsque la sous-commission de l’ONU adopte des « Normes sur la responsabilité des sociétés transnationales et des autres entreprises commerciales en matière de droits de l’homme 4UN Doc. E/CN.4/Sub.2/2003/12/Rev.2.» (ci-après « Normes »). La sous-commission avait pour mission de codifier les obligations déjà existantes, auxquelles étaient soumises les sociétés transnationales au regard du droit international. Toutefois, ces « Normes » ont finalement été rejetées par la Commission des droits de l’homme en raison de farouches oppositions à un projet qui, loin d’être simplement « codifiant », obligeait les sociétés transnationales à se plier aux normes internationales pour la première fois 5Cf. Decaux, « La responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits de l’homme », Revue de science criminelle et de droit penal comparé, 2005, p. 789 ; Weissbrodt, Human Rights Standards Concerning Transnational Corporations and Other Business Entities, 23 Minn. J. Int’l L., 135, 2014..

Partant de ces éléments d’introduction, un certain nombre de questions pointent déjà. Pourquoi la réglementation des sociétés transnationales au niveau international est-elle si importante ? Pourquoi les outils coercitifs traditionnels des États ne leur permettent-ils pas de faire respecter les droits de l’homme sur leur territoire ?

Les réponses pourraient sembler évidentes, mais il peut être utile néanmoins de souligner qu’à ce point, dans l’histoire de la mondialisation, l’un des enjeux les plus critiques est que la plupart des « États Nations sont incapables, ou refusent simplement, d’imposer le respect des droits de l’homme aux sociétés transnationales 6Cf. De Schutter, « La responsibilité des États dans le contrôle des sociétés transnationales : vers une convention internationale sur la lutte contre les atteintes aux droits de l’homme commises par les sociétés transnationales », in Decaux (éd.), Droit et Justice, no 89 (La Responsabilité des entreprises multinationales en matière de droits de l’homme), Bruxelles, Éditions Bruylant & Éditions Nemesis, 2010, p. 25-44.».

C’est ainsi que les STN ne sont plus à considérer comme de « simples » acteurs privés 7Cf. Alston (éd.), Non-State Actors and Human Rights, Oxford, 2005, p. 141-350., mais bien plutôt comme des entités qui remettent en question le pouvoir de l’État et sa souveraineté sur la scène mondiale 8Cf. Garrett, The Corporation as Sovereign, 60 Me. L. Rev., 129, 2008., ce en raison du caractère global des marchés et des flux, et de leur poids économique grandissant. On pourrait dès lors faire valoir que ces sociétés ne reconnaissent pas le concept de nationalité (dont le sens est bien politique et non économique). C’est pourquoi le terme « transnational » paraît plus juste que celui de « multinational 9Cf. Clapham, Human Rights Obligations of Non-State Actors, Oxford, 2006, p. 199-201.».

Pour ces raisons – et comme en matière de réchauffement climatique ou de terrorisme transnational –, c’est nécessairement à l’échelle du monde qu’il faut penser la réglementation des activités de ces très grandes entreprises. Dans ce cas précis, il s’agit de surcroît d’activités dont l’impact sur les États hôtes est indéniablement en partie positif : en termes de croissance économique, de renforcement des infrastructures, de coopération technique transnationale, etc. 10La « Résolution Équateur » reconnaît clairement les effets positifs des investissements des STN (cf. le préambule de clause no 10).. C’est pourquoi il ne peut s’agir simplement de contrecarrer le pouvoir acquis par les sociétés transnationales, mais il faut réglementer leurs activités afin de les rendre conformes aux droits de l’homme.

À cet égard, les dernières décennies ont été marquées par un débat intense sur les moyens les plus appropriés pour promouvoir la « responsabilité sociale des entreprises » (RSE). D’une part, les défenseurs des sociétés transnationales, tels que la plupart des gouvernements occidentaux et même certains chercheurs, considèrent que la RSE doit être un comportement volontaire qui devrait être promu par plusieurs moyens juridiques et économiques et non par des moyens de contrainte (« approche volontaire »). D’autre part, les consommateurs, les militants des droits de l’homme, les ONG et certains pays en voie de développement appellent à une intervention plus forte des acteurs publics afin d’imposer des obligations spécifiques aux sociétés transnationales à la fois au niveau national et international (« approche réglementaire ») 11Ce débat a été particulièrement passionné dans le cadre de l’UE : cf. Pistoia, « Regulating Voluntarism in Support to Corporate Social Responsibillity in the EU », in Studi sull’integrazione europea, 2013, p. 259..

Dans cette perspective, l’approbation de « la Résolution Équateur » représente un succès indéniable des défenseurs de l’approche réglementaire 12 Cf. le réseau des ONG qui soutient l’initiative (un « Traité Alliance ») : www.treatymovement.com.. Toutefois, avant d’analyser les perspectives ouvertes par une éventuelle « Convention sur la lutte contre les violations des droits de l’homme par les sociétés transnationales », il convient de souligner qu’à l’heure actuelle, une telle convention imposant des obligations spécifiques aux États serait probablement sans aucune efficacité, du moins à court et moyen terme, car elle serait boycottée par les États dans lesquelles se situent les sociétés transnationales 13À cet égard, cf., par exemple, la déclaration de l’UE au Conseil des droits de l’homme des Nations unies : www.globalpolicy.org/images/pdfs/GPFEurope/HRC_resolution_Explanation_of_vote_EU.pdf..

En réalité, la négociation, la signature et la ratification finale d’une telle convention par quelques pays en développement seulement (un groupe caractérisé principalement par sa politique étrangère anti-américaine) pourraient même en venir à faire obstacle au développement et à la mise en œuvre du « Cadre législatif des Nations unies » et des « Principes directeurs », élaborés respectivement en 2008 et 2009 14Il y a deux directives différentes et non contraignantes pour les États et les sociétés basées sur trois piliers (« le devoir de protection de l’État », « la responsabilité des entreprises au respect » et « l’accès aux recours »). Cf. UN Doc. A/HRC/4/35 and UN Doc. A/HRC/17/31.par le professeur John Ruggie (en tant que représentant spécial du secrétaire général de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme).

Dans ce contexte en effet, la crainte de voir les dissensions se raviver est peut-être fondée. Le risque majeur serait de ramener le débat au stade du rejet des « Normes » de 2003, quand dominait le sentiment d’un face à face entre deux camps, l’un favorable et l’autre opposé aux progrès dans la prévention de la violation des droits de l’homme par les entreprises. Car sans rentrer ici dans le détail des discussions sur la pertinence et l’efficacité du « Cadre législatif » et des « Principes directeurs », l’un des succès largement reconnus 15Cf. Buhmann, Business and Human Rights : Analyzing Discursive Articulation of Stakeholder Interests to Explain the Consensus-based Construction of the “Protect, Respect and Remedy” UN Framework, disponible sur www.ccsenet.org, 2012, p. 88.du professeur Ruggie a été de parvenir à un consensus de toutes les parties prenantes – États, entreprises, ONG et représentants de la société civile – sur une base opérationnelle commune. Tandis que l’absence d’un tel consensus est vraisemblablement l’une des principales causes de l’échec des « Normes » de 2003, même si elles représentaient (et représentent sans doute toujours) l’une des propositions les plus avancées pour définir les obligations des sociétés transnationales en matière des droits de l’homme.

À cela s’ajoute l’effet « d’irritant juridique » que le « Cadre » et les « Principes directeurs » pourraient avoir sur les codes « privés ». En d’autres termes, et selon les théories du constitutionnalisme sociétal 16Cf. parmi plusieurs œuvres de Teubner, « L’auto-constitutionalisation des entreprises transnationales ? Sur les rapports entre les codes de conduite “privés” et “publics” des entreprises », in Supiot (éd.), L’Entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, Paris, 2015, p. 71., les politiques de « naming and shaming » des ONG, le contentieux international de droit public 17Cf. Cummings, The Internationalization of Public Interest Law, 57 Duke L. J., 891, 2008., les obligations d’information relatives aux activités non financières des entreprises 18Cf. la récente directive 2014/95/UE ; à cet égard, cf. Malecki, « Publication de la directive RSE ou comment faire confiance à la gouvernance d’entreprise durable », Bulletin Joly Sociétés, 2014, p. 732., les pratiques de désobéissance citoyenne 19Cf. Bourdon, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Paris, 2014, p. 105-162., peuvent conduire à une internalisation (volontairement mais non spontanée) des codes de conduite « publics » relatifs aux pratiques des sociétés transnationales. Dans ce processus, les normes, qui n’ont formellement aucun effet contraignant (soft law), deviendraient une véritable « constitution » d’un ordre interne à l’entreprise, limitant ainsi ses pouvoirs et ses dérives, de la même façon que le mouvement de constitutionnalisation intervenu entre le XVIIe et le XXe siècle dans la sphère politique.

Pour autant, toutes ces considérations ne signifient pas qu’il n’y ait besoin d’aucun instrument de droit « dur ». Au contraire, les moyens coercitifs traditionnels déployés par les États et les réseaux d’organismes administratifs et judiciaires internes sont essentiels pour réguler les comportements des sociétés transnationales et, plus généralement, le processus de mondialisation 20Sur la notion de « droit administratif global », cf. Cassese, Administrative Law without State : the Challenge of Global Regulation, 37 N.Y.U. J. Int’l. L. & Pol., 663, 2004-2005 ; sur les réseaux judiciaires, cf. Slaughter, A New World Order, Princeton, 2005 ; Allard, Garapon, Les Juges dans la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.. En laissant de côté (du moins pour le moment) les effets positifs indéniables des instruments de soft law 21Pour une analyse encore valable des problèmes soulevés par les codes de bonne conduite de droit international, cf. Decaux, « La forme et la force obligatoire des codes de bonne conduite », in Annuaire français de droit international, 1983, p. 81., considérons qu’il existe aujourd’hui au niveau international deux possibilités : soit on impose directement aux sociétés transnationales des obligations relatives aux droits de l’homme, soit on fixe des obligations aux États, par le biais plus traditionnel d’un traité.

La première solution, appuyée par plusieurs chercheurs 22Cf. Stephens, The Amorality of Profit : Transnational Corporations and Human Rights, 20 Berkeley J. Int’l Law, 45, 2002 ; Steinhardt, Multinational Corporations and Their Responsibilities under International Law, 27, in Stafford, Bellamy, Blecher (éd.), Corporate Responsibility for Human Rights Impacts. New Expectations and Paradigms, Chicago, 2014 ; Chemillier-Gendrau, « L’entreprise est-elle soumise aux règles du droit international ? », in Supiot, op. cit. note 16, p. 87. , consiste à imposer des obligations relatives aux droits de l’homme directement aux sociétés transnationales, dictant ainsi leur sujétion aux normes de droit international. Cette solution, inspirée des « Normes » de 2003, serait probablement la plus cohérente au regard de la mondialisation actuelle et de la réalité du monde des affaires : l’idée étant que ces obligations découlent naturellement du pouvoir acquis par les sociétés transnationales, indépendamment de l’application de toute norme étatique 23À propos de la subjectivité internationale des sociétés transnationales, cf. Fasciglione, Diritti umani e responsabilità sociale d’impresa nel diritto internazionale, Naples, 2010, p. 29-53.. Cependant, cette approche présente au moins deux difficultés.

La première est qu’il faudrait alors admettre que le droit international n’est désormais plus l’affaire exclusive des États (comme il l’a toujours été selon le modèle traditionnel élaboré par Heinrich Triepel et Dioniso Anzilotti entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle) et ajouter un autre acteur dans le processus de formation du droit coutumier et du droit conventionnel. En effet, demander aux sociétés transnationales d’être directement assujetties à des normes de droit international, mais sans qu’elles aient la possibilité de négocier celles-ci dans les instances internationales, serait inconcevable. Afin d’être assujetties, les STN devraient bénéficier d’un degré de représentation qui leur manque encore aujourd’hui, en dépit de leur importante activité de lobbying 24Cf. Crouch, Il potere dei giganti, Rome / Bari, tr. it., 2014, p. 147-169.et de l’approche multi-partenariale devenue courante dans les négociations internationales.

Dans l’hypothèse où l’on considère que chaque norme juridique vient de « la résolution » d’un précédent conflit entre deux ou plusieurs parties, cette norme juridique serait inefficace si les parties concernées ne sont pas correctement représentées dans ce conflit. Autrement dit, si l’on souhaite vraiment considérer les STN comme sujets de droit international, on ne peut leur refuser le droit d’être représentées institutionnellement dans les enceintes internationales. Ainsi, la formule « pas de taxation sans représentation » et le principe qu’elle énonce, central à toute l’histoire du constitutionnalisme moderne, peuvent s’appliquer au droit international. La question se pose donc de savoir si nous sommes prêts à reconnaître les sociétés transnationales comme des entités équivalentes aux États Nations sur la scène internationale.

La seconde difficulté est que la mise en œuvre effective de ces obligations directes souffrirait des lacunes qui caractérisent généralement le droit international public, notamment en ce qui concerne l’application des normes par les États (qui détiennent le monopole de la force légitime, l’une des plus grandes conquêtes de l’ère moderne sur laquelle il ne faudrait pas revenir), même dans le cas improbable d’une résolution du Conseil de sécurité 25À propos des questions pratiques, cf. Ratner, Corporations and Human Rights : A Theory of Legal Responsibility, 111 Yale L.J., 538-540, 2001..

Précisons que la clause opératoire numéro 1 de la « résolution Équateur 26Qui établit « un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée […] dont le mandat sera d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises ».» ne fait pas clairement référence aux États ou sociétés qui devraient être directement liés par le nouveau traité – ainsi le groupe de travail intergouvernemental pourrait potentiellement bénéficier d’une grande liberté dans l’élaboration de son contenu. Toutefois, selon l’interprétation de cette clause par le biais de la clause préambulatoire numéro 727Qui souligne que « les obligations et la responsabilité principale de promouvoir et de protéger les droits humains et les libertés fondamentales reviennent à l’État ». , il apparaît peu probable que le nouveau traité apporte des innovations de ce point de vue.

Nonobstant ce qui précède, même avec la seconde solution (à savoir un traité interétatique traditionnel imposant des obligations aux sociétés transnationales indirectement 28Grâce à la responsabilité juridique de l’État.), les possibilités de conclure un traité vraiment efficace sont encore faibles. En réalité, compte tenu de l’opposition des États-Unis et de l’Europe, la négociation, le but, le contenu et la portée d’un tel traité devraient au contraire s’inspirer de la philosophie à l’œuvre dans les travaux du professeur Ruggie, mêlant principes et pragmatisme 29Ruggie considère « le pragmatisme des principes du droit international comme un outil de résolution collective des problèmes et non comme une fin en soi. Il reconnaît que le développement de tout instrument juridique international exige un certain degré de consensus entre les États. Il soutient qu’il est important, avant de lancer un processus de traité, de définir clairement les objectifs du traité, que les attentes doivent être raisonnables afin d’être appliquées par les parties concernées. Il fait référence aux instruments juridiques internationaux relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme […] et notamment aux lacunes spécifiques de gouvernance que d’autres outils n’ont pas pu régler » (Cf. « The Past as Prologue ? A Moment of Truth for UN Business and Human Rights Treaty », juillet 2014, p. 5, disponible sur www.ihrb.org).: en d’autres termes, la communauté internationale devrait chercher à créer un instrument juridique qui réponde aux enjeux non pas de la meilleure façon possible, mais de la façon la plus réalisable.

À cet égard, un traité imposant à l’État dans lequel réside la société mère des obligations spécifiques (et donc des responsabilités) sur des activités conduites en dehors de son territoire 30À propos des comportements des STN ou des filiales établies dans des pays d’accueil. serait sans doute prématuré et voué à l’échec (tout comme le « Projet de code » en 1992 et les « Normes » en 2003).

En revanche, un traité ayant les caractéristiques suivantes serait beaucoup plus acceptable :

1) l’autorisation pour les États d’origine d’exercer une compétence extraterritoriale – législative et/ou adjudicative – judiciaire lorsqu’une filiale de STN viole un droit reconnu dans un des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme 31Parmi lesquels il y a le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.;

2) et/ou l’obligation pour les États d’adopter des lois relatives aux devoirs de vigilance que la société mère doit avoir sur ses filiales 32À cet égard, la récente proposition, en France, d’une loi sur le devoir de vigilance de la société mère sur les filiales pourrait avoir une importance fondamentale. Cf. le texte de la note sur : www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1519.asp. Il est intéressant de remarquer que, alors que la France a voté contre l’adoption de la « résolution Équateur », son gouvernement a toujours été parmi les plus actifs dans la promotion de la RSE, à la fois au niveau international et national.et fournisseurs.

Le point (1) serait une étape importante, car dans la plupart des cas, l’application des droits de l’homme à l’encontre des sociétés transnationales soulève des questions de compétence extraterritoriale 33Cf. De Schutter, Extraterritorial Jurisdiction as a Tool for Improving the Human Rights Accountability of Transnational Corporations, compte rendu d’un séminaire organisé en collaboration avec le bureau du haut commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, 2006, disponible sur http://business-humanrights.org/en/pdf-extraterritorial-jurisdiction-as-a-tool-for-improving-the-human-rights-accountability-of-transnational-corporations. À cet égard, nous tenons à rappeler plusieurs interventions devant la Cour suprême des États-Unis de pays étrangers comme les amicicuriae, opposants à l’application extraterritoriale de l’Alien Tort Statute (Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 133 S. Ct. 1659, 2013). . De ce point de vue, une telle disposition permettrait de supprimer l’un des obstacles majeurs – à la fois théorique et politique – à la volonté des États de faire respecter les droits de l’homme. En effet, l’une des principales objections au fait que les États d’origine exercent des compétences extraterritoriales dans les États où sont établies les filiales de leurs entreprises, est que cela viole le principe d’égale souveraineté des États. Selon ce principe, et en l’état actuel du droit international, l’État d’origine n’est ni responsable du comportement 34Évidemment, nous parlons de la responsabilité de l’État pour le comportement des entreprises totalement « privées », et non pour le comportement des entreprises qui exercent des fonctions de l’État, ou qui agissent selon les instructions / directives d’un État, ou qui assument des fonctions publiques en l’absence des autorités officielles, ou dont la conduite est adoptée par un État. Dans tous ces cas, le droit international reconnaît déjà la responsabilité de l’État pour les violations commises par les entreprises. Cf. les articles 5 et 9 du projet d’articles sur la responsabilité des États pour les faits internationalement illicites, ainsi que l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique de la Cour internationale de justice en 1986.des filiales dans les États d’accueil ni ne peut même, dans la plupart des cas, les réglementer 35Certaines exceptions sont reconnues et justifiées selon la « doctrine des effets », le principe de la personnalité passive ou le principe de la personnalité active. Cf. De Schutter, op. cit. note 33, p. 22-28..

De toute évidence, cette disposition devrait être particulièrement claire et pour cela il sera nécessaire de définir : a) les conditions dans lesquelles l’État d’origine serait autorisé à exercer sa compétence extraterritoriale afin d’éviter les abus et l’exploitation des arguments relatifs aux droits de l’homme comme des formes d’influence hégémonique sur les pays en développement 36Cf. Ignatieff, Human Rights as Politics and Idolatry, Princeton, 2001 ; Scuccimarra, « Proteggere o dominare ? Sovranità e diritti umani nel dibattito sulla “responsibility to protect”», in Meccarelli, Palchetti, Sotis (éd.), Il lato oscuro dei diritti umani : esigenze emancipatorie e logiche di dominio nella tute la giuridica dell’individuo, Madrid, 2014, p. 349-384.; b) les critères en vertu desquels on identifierait l’État « d’origine ». Autrement dit, cette disposition viserait à élargir les conditions actuelles de l’exercice légitime de la compétence extraterritoriale.

Concernant le point 2, une telle obligation permettrait de contourner la réticence à s’immiscer dans les affaires d’autres pays souverains, puisqu’un pays hôte imposant à une société dont le siège est établi sur son territoire un devoir de vigilance sur les activités de ses filiales à l’étranger ne ferait qu’exercer sa compétence nationale selon le principe « de personnalité active 37Cf. De Schutter, op. cit. note 6, p. 83-89.», quand bien même cette pratique aurait des conséquences évidentes sur d’autres pays 38Dans ce domaine précis, quelques spécialistes préfèrent l’expression « extension territoriale » au lieu de « extraterritorialité » : cf. Scott, Extraterritoriality and Territorial Extension in EU Law, 62 Am. J. Comp. L., 87, 2014. Cf. aussi Bradford, The Brussels Effect, 107 Nw. U. L. Rev., 1, 2012-2013..

En outre, c’est une pratique réglementaire déjà utilisée avec succès dans d’autres domaines, à la fois dans les lois américaines et européennes 39Par exemple, le US Foreign Corruption Practises Act ou la directive 2012/19/UE sur les déchets électriques et électroniques.. Une telle disposition ne ferait qu’étendre cette tendance à l’ensemble du champ des droits de l’homme internationalement reconnus et serait ainsi mieux acceptée par les pays développés.

Bien sûr, les dispositions précitées ne représentent que des suggestions, une politique des petits pas vers la « constitutionnalisation » des sociétés transnationales (et plus généralement vers une « loi globale 40Sur la notion de « droit global », cf. Frydman, Petit manuel pratique de droit global, Bruxelles, 2014. Sur la constitutionnalisation du processus de la mondialisation, cf. Dobner, Loughlin (éd.), The Twilight of Constitutionalism ?, Oxford, 2010.») et correspondraient aux positions actuelles des pays développés et des pays en voie de développement bien mieux qu’un traité imposant des obligations aux sociétés transnationales ou obligeant les États à exercer des formes de compétence extraterritoriale sur la conduite des filiales.

De plus, un traité centré sur de telles dispositions permettrait d’éviter que les pays développés s’opposent à sa négociation. La négociation d’un tel traité serait également compatible avec le mandat que la « résolution Équateur » a donné au groupe de travail intergouvernemental.

Pour conclure, soulignons à nouveau l’importance d’une approche hybride de la responsabilité des sociétés transnationales. Les instruments de droit dur sont fondamentaux, mais ils restent insuffisants et surtout trop archaïques pour pouvoir réguler la mondialisation. Celle-ci est tellement complexe qu’elle ne peut être gouvernée pleinement par des instruments interétatiques rigides. Dans le domaine du droit global, le respect des droits de l’homme pourra être assuré, non pas par des formes de maximalisme manichéen, mais par la production et l’interaction de différents niveaux et techniques de régulation, de droit dur et de droit souple, ainsi que par la prise de conscience par chaque acteur de sa propre responsabilité sociale et juridique 41Cf. Delmas-Marty, Résister, responsabiliser, anticiper : ou comment humaniser la mondialisation, Paris, 2013, p. 139-163 ; id., Les Forces imaginantes du droit (II). Le pluralisme ordonné, Paris, 2006..

Réferences

A/HRC/RES/26/9, adopted by a recorded vote (20 to 14, with 13 abstentions) . Cf. le texte : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/26/L.22/Rev.1.
Le Pacte mondial est un ensemble de dix principes que les entreprises acceptent volontairement de mettre en œuvre dans leurs opérations. Toutefois, il est sujet à beaucoup de critiques, en raison de son caractère volontaire et de son absence de recours efficace.
Les plus importants sont la « Déclaration de principe tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale » de l’OIT (dernière mise à jour en août 2014) ; et « les principes directeurs pour les entreprises multinationales » de l’OCDE (dernière mise à jour en mai 2011) ; et, au niveau des ONG, cf. « les lignes directrices relatives aux droits de l’homme pour les entreprises d’Amnesty International ».
UN Doc. E/CN.4/Sub.2/2003/12/Rev.2.
Cf. Decaux, « La responsabilité des sociétés transnationales en matière de droits de l’homme », Revue de science criminelle et de droit penal comparé, 2005, p. 789 ; Weissbrodt, Human Rights Standards Concerning Transnational Corporations and Other Business Entities, 23 Minn. J. Int’l L., 135, 2014.
Cf. De Schutter, « La responsibilité des États dans le contrôle des sociétés transnationales : vers une convention internationale sur la lutte contre les atteintes aux droits de l’homme commises par les sociétés transnationales », in Decaux (éd.), Droit et Justice, no 89 (La Responsabilité des entreprises multinationales en matière de droits de l’homme), Bruxelles, Éditions Bruylant & Éditions Nemesis, 2010, p. 25-44.
Cf. Alston (éd.), Non-State Actors and Human Rights, Oxford, 2005, p. 141-350.
Cf. Garrett, The Corporation as Sovereign, 60 Me. L. Rev., 129, 2008.
Cf. Clapham, Human Rights Obligations of Non-State Actors, Oxford, 2006, p. 199-201.
La « Résolution Équateur » reconnaît clairement les effets positifs des investissements des STN (cf. le préambule de clause no 10).
Ce débat a été particulièrement passionné dans le cadre de l’UE : cf. Pistoia, « Regulating Voluntarism in Support to Corporate Social Responsibillity in the EU », in Studi sull’integrazione europea, 2013, p. 259.
Cf. le réseau des ONG qui soutient l’initiative (un « Traité Alliance ») : www.treatymovement.com.
À cet égard, cf., par exemple, la déclaration de l’UE au Conseil des droits de l’homme des Nations unies : www.globalpolicy.org/images/pdfs/GPFEurope/HRC_resolution_Explanation_of_vote_EU.pdf.
Il y a deux directives différentes et non contraignantes pour les États et les sociétés basées sur trois piliers (« le devoir de protection de l’État », « la responsabilité des entreprises au respect » et « l’accès aux recours »). Cf. UN Doc. A/HRC/4/35 and UN Doc. A/HRC/17/31.
Cf. Buhmann, Business and Human Rights : Analyzing Discursive Articulation of Stakeholder Interests to Explain the Consensus-based Construction of the “Protect, Respect and Remedy” UN Framework, disponible sur www.ccsenet.org, 2012, p. 88.
Cf. parmi plusieurs œuvres de Teubner, « L’auto-constitutionalisation des entreprises transnationales ? Sur les rapports entre les codes de conduite “privés” et “publics” des entreprises », in Supiot (éd.), L’Entreprise dans un monde sans frontières. Perspectives économiques et juridiques, Paris, 2015, p. 71.
Cf. Cummings, The Internationalization of Public Interest Law, 57 Duke L. J., 891, 2008.
Cf. la récente directive 2014/95/UE ; à cet égard, cf. Malecki, « Publication de la directive RSE ou comment faire confiance à la gouvernance d’entreprise durable », Bulletin Joly Sociétés, 2014, p. 732.
Cf. Bourdon, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Paris, 2014, p. 105-162.
Sur la notion de « droit administratif global », cf. Cassese, Administrative Law without State : the Challenge of Global Regulation, 37 N.Y.U. J. Int’l. L. & Pol., 663, 2004-2005 ; sur les réseaux judiciaires, cf. Slaughter, A New World Order, Princeton, 2005 ; Allard, Garapon, Les Juges dans la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.
Pour une analyse encore valable des problèmes soulevés par les codes de bonne conduite de droit international, cf. Decaux, « La forme et la force obligatoire des codes de bonne conduite », in Annuaire français de droit international, 1983, p. 81.
Cf. Stephens, The Amorality of Profit : Transnational Corporations and Human Rights, 20 Berkeley J. Int’l Law, 45, 2002 ; Steinhardt, Multinational Corporations and Their Responsibilities under International Law, 27, in Stafford, Bellamy, Blecher (éd.), Corporate Responsibility for Human Rights Impacts. New Expectations and Paradigms, Chicago, 2014 ; Chemillier-Gendrau, « L’entreprise est-elle soumise aux règles du droit international ? », in Supiot, op. cit. note 16, p. 87.
À propos de la subjectivité internationale des sociétés transnationales, cf. Fasciglione, Diritti umani e responsabilità sociale d’impresa nel diritto internazionale, Naples, 2010, p. 29-53.
Cf. Crouch, Il potere dei giganti, Rome / Bari, tr. it., 2014, p. 147-169.
À propos des questions pratiques, cf. Ratner, Corporations and Human Rights : A Theory of Legal Responsibility, 111 Yale L.J., 538-540, 2001.
Qui établit « un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée […] dont le mandat sera d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises ».
Qui souligne que « les obligations et la responsabilité principale de promouvoir et de protéger les droits humains et les libertés fondamentales reviennent à l’État ».
Grâce à la responsabilité juridique de l’État.
Ruggie considère « le pragmatisme des principes du droit international comme un outil de résolution collective des problèmes et non comme une fin en soi. Il reconnaît que le développement de tout instrument juridique international exige un certain degré de consensus entre les États. Il soutient qu’il est important, avant de lancer un processus de traité, de définir clairement les objectifs du traité, que les attentes doivent être raisonnables afin d’être appliquées par les parties concernées. Il fait référence aux instruments juridiques internationaux relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme […] et notamment aux lacunes spécifiques de gouvernance que d’autres outils n’ont pas pu régler » (Cf. « The Past as Prologue ? A Moment of Truth for UN Business and Human Rights Treaty », juillet 2014, p. 5, disponible sur www.ihrb.org).
À propos des comportements des STN ou des filiales établies dans des pays d’accueil.
Parmi lesquels il y a le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.
À cet égard, la récente proposition, en France, d’une loi sur le devoir de vigilance de la société mère sur les filiales pourrait avoir une importance fondamentale. Cf. le texte de la note sur : www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1519.asp. Il est intéressant de remarquer que, alors que la France a voté contre l’adoption de la « résolution Équateur », son gouvernement a toujours été parmi les plus actifs dans la promotion de la RSE, à la fois au niveau international et national.
Cf. De Schutter, Extraterritorial Jurisdiction as a Tool for Improving the Human Rights Accountability of Transnational Corporations, compte rendu d’un séminaire organisé en collaboration avec le bureau du haut commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, 2006, disponible sur http://business-humanrights.org/en/pdf-extraterritorial-jurisdiction-as-a-tool-for-improving-the-human-rights-accountability-of-transnational-corporations. À cet égard, nous tenons à rappeler plusieurs interventions devant la Cour suprême des États-Unis de pays étrangers comme les amicicuriae, opposants à l’application extraterritoriale de l’Alien Tort Statute (Kiobel v. Royal Dutch Petroleum Co., 133 S. Ct. 1659, 2013).
Évidemment, nous parlons de la responsabilité de l’État pour le comportement des entreprises totalement « privées », et non pour le comportement des entreprises qui exercent des fonctions de l’État, ou qui agissent selon les instructions / directives d’un État, ou qui assument des fonctions publiques en l’absence des autorités officielles, ou dont la conduite est adoptée par un État. Dans tous ces cas, le droit international reconnaît déjà la responsabilité de l’État pour les violations commises par les entreprises. Cf. les articles 5 et 9 du projet d’articles sur la responsabilité des États pour les faits internationalement illicites, ainsi que l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique de la Cour internationale de justice en 1986.
Certaines exceptions sont reconnues et justifiées selon la « doctrine des effets », le principe de la personnalité passive ou le principe de la personnalité active. Cf. De Schutter, op. cit. note 33, p. 22-28.
Cf. Ignatieff, Human Rights as Politics and Idolatry, Princeton, 2001 ; Scuccimarra, « Proteggere o dominare ? Sovranità e diritti umani nel dibattito sulla “responsibility to protect”», in Meccarelli, Palchetti, Sotis (éd.), Il lato oscuro dei diritti umani : esigenze emancipatorie e logiche di dominio nella tute la giuridica dell’individuo, Madrid, 2014, p. 349-384.
Cf. De Schutter, op. cit. note 6, p. 83-89.
Dans ce domaine précis, quelques spécialistes préfèrent l’expression « extension territoriale » au lieu de « extraterritorialité » : cf. Scott, Extraterritoriality and Territorial Extension in EU Law, 62 Am. J. Comp. L., 87, 2014. Cf. aussi Bradford, The Brussels Effect, 107 Nw. U. L. Rev., 1, 2012-2013.
Par exemple, le US Foreign Corruption Practises Act ou la directive 2012/19/UE sur les déchets électriques et électroniques.
Sur la notion de « droit global », cf. Frydman, Petit manuel pratique de droit global, Bruxelles, 2014. Sur la constitutionnalisation du processus de la mondialisation, cf. Dobner, Loughlin (éd.), The Twilight of Constitutionalism ?, Oxford, 2010.
Cf. Delmas-Marty, Résister, responsabiliser, anticiper : ou comment humaniser la mondialisation, Paris, 2013, p. 139-163 ; id., Les Forces imaginantes du droit (II). Le pluralisme ordonné, Paris, 2006.
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À propos de l'auteur

Angelo Golia

Doctorant boursier chez l'Université de Naples II et membre de la clinique juridique de droit international des droits de l'homme de l'Université d'Aix-Marseille.