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Le 29 juin 2015, les représentants de 57 pays se sont retrouvés à Pékin pour signer l’accord entérinant les statuts de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII1http://www.aiibank.org/) . Lancé à l’initiative de la Chine fin 2014, ce projet a pour objectif assumé de créer une nouvelle institution financière internationale, au fonctionnement expressément multilatéral.

Les conséquences de l’initiative ne sont pas restreintes au domaine des aides aux financements internationaux. Les diverses réactions et émois provoqués par l’annonce de la création de la BAII témoignent en effet des bouleversements profonds qu’elle rend visibles. Ce projet n’est t-il pas en effet la concrétisation d’un basculement du pouvoir économique, financier, monétaire des Etats-Unis vers la Chine ?

Les missions, la composition, les critères de gouvernance de la nouvelle banque se précisent au fil des rencontres et déclarations. Avec elle, c’est à une transformation du paysage institutionnel de la finance multilatérale que l’on assiste. Figées depuis 1944 et les accords de Bretton Woods qui les ont créées, les institutions internationales font en effet l’objet de vives critiques aujourd’hui. Les pays émergents, Chine en tête, reprochent au Fond monétaire international (FMI), à la Banque mondiale (BM) ou encore la Banque asiatique de développement (BAD) créée en 1968 de ne pas avoir su se réformer, et de ne pas tenir compte suffisamment du poids économique des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud) dans les quotes-parts de leurs comités décisionnels. Sans compter que les modalités et conditionnalités des prêts qu’ils accordent, leur capacité d’action, sont aujourd’hui profondément questionnés par les économistes.

La BAII semble toutefois s’inscrire dans une logique de coopération avec d’autres institutions, plutôt que de concurrence : leurs objectifs étant différents, tout comme leurs zones d’influence, la coordination pourrait déboucher sur une réelle plus-value en matière d’aide au financement international. Mais si FMI, BM, et BAD semblent relativement ouverts à la création de la BAII, l’accueil de la banque par les Etats a été beaucoup plus mitigé. Les États Unis et le Japon notamment ont immédiatement annoncé qu’ils resteraient en marge de l’institution, justifiant cette position par leurs doutes quand à la volonté et la capacité de la Chine d’appliquer des standards internationaux en matière de normes sociétales et environnementales. De façon moins officielle, ils pointent du doigt l’ambition Chinoise de faire valoir ses propres intérêts à travers l’institution.

En dépit de la mise en garde américaine, la BAII compte à ce jour 57 pays signataires : des pays en développement, des émergents, mais aussi des alliés historiques des Etats-Unis, comme la Grande-Bretagne ou la France. En réponse aux critiques émises par Washington, ils ont affirmé préférer “influencer l’institution de l’intérieur” ; ils semblent surtout compter sur des effets bénéfiques de la BAII sur leurs économies. Comment comprendre l’attitude réfractaire de Washington envers cette nouvelle banque de développement ? En réponse aux accusations portées à son encontre quant au respect des normes et à son ambition de faire valoir prioritairement ses intérêts particuliers, notamment à travers sa monnaie, la Chine a immédiatement souhaité rassurer. On ne peut cependant nier que la BAII représente une étape supplémentaire dans l’extension de la puissance et de l’influence chinoises. La question fondamentale qu’elle soulève est celle de la redistribution des pouvoirs économiques, financiers, monétaires et géopolitiques à l’échelle mondiale.

1. Une nouvelle venue dans les institutions financières internationales.
La création de la BAII constitue l’une des principales réalisations de Xi Jinping depuis son arrivée à la présidence de la République populaire de Chine en 2013. L’idée de cette banque fut évoquée pour la première fois en octobre 2013, lors d’une visite du président chinois en Indonésie. Sa mission principale est en effet de promouvoir l’investissement dans les transports, l’énergie, ou les télécommunications dans les pays en développement d’Asie2Xinhua, 24 octobre 2014, « Xi jinping espère une meilleure gouvernance financière mondiale ». Il s’agit de favoriser le développement de ces derniers et l’intégration économique régionale en répondant aux besoins d’infrastructures (avec notamment le projet d’une immense ligne de chemin de fer reliant Pékin à Bagdad 3http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20140625trib000836942/pekin-pousse-pour-creer-un-rival-a-la-banque-mondiale-dote-de-100-milliards-de-dollars.html). La région Asie-Pacifique représentant 40% de la population mondiale, 60% de l’économie mondiale et la moitié des échanges commerciaux internationaux, le rôle de cette Banque sera forcément conséquent. Et si dans une première phase elle se concentrera sur les projets d’infrastructure des pays asiatiques, elle ne cache pas son intention de créer également un fond capable de fournir des prêts aux programmes n’étant pas garantis par des fonds souverains, d’introduire un modèle de partenariat public-privé (PPP), des fonds souverains, ou fonds de pension pour augmenter encore sa force d’action.
De prime abord restreints au seul continent asiatique, les prêts seront à terme étendus à d’autres continents.

La Banque, qui compte 57 membres fondateurs 4http://www.aiibank.org/html/2015/NEWS_0629/10.html, doit être opérationnelle d’ici la fin de l’année 2015. La gouvernance de la nouvelle AIIB fixe un partage de 75 % entre les membres asiatiques, et 25 % pour les pays non-asiatiques avec des droits de vote alloués au sein de chaque groupe en fonction du Produit Intérieur Brut (PIB) de chaque Etat 5http://www.aiibank.org/uploadfile/2015/0629/20150629094900288.pdf. La Chine avait initialement assuré que cette multi latéralité assurerait un équilibre des pouvoirs. Mais selon le Wall Street Journal 6http://www.wsj.com/articles/aiib-tests-beijings-management-style-1435516224, la structure décisionnelle de la BAII offrira à la Chine « la haute main » sur l’institution. En tant que principal contributeur Pékin doit apporter environ 30 milliards de dollars sur les 100 milliards du capital initial de la BAII, ce qui lui assurera entre 25% et 30% des droits de vote, soit un pouvoir de veto lui permettant de bloquer certaines décisions. « Les droits de vote chinois (…) résultent naturellement des règles décidées par l’ensemble des membres fondateurs. Nous n’avons pas délibérément cherché à nous emparer d’un pouvoir de veto 7http://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/a-pekin-57-pays-signent-les-statuts-de-la-banque-asiatique-d-investissement_1694215.html» , a répliqué Shi Yaobin, vice-ministre chinois des Finances. L’Inde est le deuxième contributeur de l’institution (8,4%des parts), devant la Russie (6,5%). Parmi les Etats non asiatiques, l’Allemagne est le principal contributeur (4,5% des parts), suivie de la France (3,4%) et du Brésil (3,2%). Les activités de la BAII seront pilotées par un conseil d’administration de 12 membres (neuf « régionaux » et trois « non régionaux), élus pour deux ans. Il fonctionnera de façon « non-résidente » (seule une équipe très restreinte se trouvera au siège à Pékin), gage d’efficacité et d’économies selon les autorités chinoises. Le président Xi Jinping a par ailleurs indiqué que Pékin « recommandera un solide et puissant candidat 8http://www.chinafrica.info/la_banque_du_r_ve_chinois» pour la présidence de la banque.

Par ses objectifs et sa gouvernance, la création de la BAII renforce le rôle des acteurs régionaux dans la prise de décision. Plus profondément, elle participe à la mise en place d’institutions financières internationales plus indépendantes des Etats-Unis.

A. Une réponse à la difficulté de réformer les institutions existantes ?

Ce projet se situe dans la continuité du positionnement économique international de la Chine, qui a par exemple accordé plus de prêts aux pays en difficulté, entre 2009 et 2010, que la Banque Mondiale 9http://les-yeux-du-monde.fr/actualite/asie-oceanie/22435-banque-asiatique-dinvestissement-2. Elle aurait pu le faire dans le cadre des institutions de Bretton Woods 10http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Bretton_Woods/110154si la répartition des droits de vote n’y était pas si favorable à l’Europe et aux Etats-Unis, qui disposent toujours du droit de veto. Les pays émergents s’estiment en effet sous-représentés dans les institutions financières existantes. La Chine ne dispose que de 3,8 % des droits de vote au sein du FMI et de la Banque mondiale, alors qu’elle représente plus de 12 % du PIB mondial. La France et le Royaume-Uni, dont la taille est trois fois inférieure à celle de la Chine, bénéficient chacun de 4,8 % des droits de vote 11https://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/quotasf.htm.

Depuis des années, la Chine demande à ce que le FMI et la Banque mondiale soient réformés afin de refléter l’influence globale de l’économie chinoise. Devant le peu d’empressement des pays majoritaires à lui accorder un pourcentage correspondant à sa puissance économique, et parce qu’elle détient les plus grandes réserves de devises étrangères au monde, elle a donc choisi de construire des alternatives à ces institutions souvent accusées d’être inféodées aux États-Unis. De fait, la Chine présente la BAII comme une structure à même de répondre aux faiblesses du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale en matière de gouvernance (réforme des quotes-parts). Au plan régional, elle remet également en question la Banque Asiatique de Développement 12http://www.adb.org/créé en 1966, à laquelle la Chine reproche sa trop grande proximité avec le Japon.

Le blocage du projet de réforme du FMI depuis 2010 par le Congrès des Etats-Unis est donc un élément important du succès d’initiative de la BAII. Celle-ci s’inscrit dans une continuité avec d’autres tentatives d’émancipation de pays s’estimant laissés en marge du système international créé dans l’après-guerre. Une initiative comparable ayant reçu un certain écho en son temps était celle d’Hugo Chavez lorsqu’il avait créé El Banco Del Sur 13http://www.bicusa.org/wp-content/uploads/2013/08/Banco-del-Sur.pdf, regroupant le Venezuela ainsi qu’un certain nombre de pays d’Amérique latine. La Nouvelle banque de développement, dont la création a été proposée par les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) participe également de cette logique 14http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/07/16/les-brics-ont-lance-leur-banque-de-developpement_4458144_3234.html.Lancée par les dirigeants des cinq pays le 7 juillet 2015, la Nouvelle banque de développement (NBD) basée à Shanghai sera ainsi dotée d’un capital initial de 50 milliards de dollars pour financer de grands projets d’infrastructures, et sera elle aussi opérationnelle d’ici à la fin de l’année. Selon son premier président indien. « Le système financier actuel dominé par le FMI et la Banque mondiale n’est plus en mesure de répondre aux besoins d’investissements des pays en développement. La demande en infrastructures grandit, mais les pays riches sont de plus en plus réticents. Il faut briser ce cercle vicieux 15 Le Figaro du 17 juillet 2014 – Article de Pierre Rousselin» .Poussée par Pékin depuis 2009, la nouvelle institution sera pilotée par Kun-dapur Vaman Kamath, patron de la plus grande banque privée indienne et ancien de la Banque asiatique de développement (BAD). Les premiers projets, encore confidentiels, seront cantonnés aux Brics, mais à terme la banque pourrait prêter à d’autres pays en développement. La NDB offre à Moscou, Pékin ou New Delhi un instrument financier indépendant de l’influence du « vieux monde » transatlantique. La NBD n’offre pas une vitrine aussi grande pour Pékin que la BAII, et sa gouvernance égalitaire limite l’influence chinoise, chacun des cinq membres apportant 10 milliards de dollars au capital initial. Mais à long terme, elle renforce également le statut de Shanghai comme grande place financière internationale.

Face à la rigidité des grandes institutions issues de Bretton Woods, un certain nombre de pays du Sud ont donc entrepris de bâtir d’autres institutions , mais la BAII est sans conteste celle qui fait le plus parler d’elle.

1.A.1 . De nouvelles modalités de financements.

La plupart des pays asiatiques à la recherche de financements pour leurs infrastructures se tournaient habituellement vers la Banque mondiale (dominée par les Occidentaux) ou vers la Banque asiatique de développement (dominée par les Japonais). Ils devaient pour cela satisfaire à des conditions préalables (démocratiques, environnementales…), dont on a pu dire qu’elle étaient une forme d’ingérence dans les politiques nationales des pays emprunteurs : les prêts, préparés par des bureaucrates, sont accordés sous des conditions que beaucoup de pays ne peuvent remplir. Or, la Chine aime à souligner qu’elle n’a pas de tradition d’ingérence : elle vise ses intérêts tout en respectant la souveraineté des autres États. M. Lou, ministre des finances Chinois a encore rappelé, le 22 mars 2015, que les institutions multilatérales préexistantes « ne représentent pas nécessairement les meilleures pratiques 16 http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/436080/investissement-ralliement-derriere-le-geant-chinois» , faisant siennes les critiques contre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), souvent accusés par le passé d’avoir prescrit des remèdes inappropriés en temps de crise.

Avec cette stratégie de prêt plus souple, et probablement plus efficace, la BAII pourrait ainsi aider FMI, BM et BAD à faire face à la hausse de la demande et à créer une concurrence nécessaire dans le système de prêt mondial. Le président de la Malaisie, SuhaimiIlias, s’est ainsi exprimé sur l’opportunité que représente la BAII pour son pays. Il explique que « compte tenu du niveau de développement économique actuel du pays, la Malaisie ne peut plus bénéficier des mécanismes de financement de projet d’infrastructures et des programmes de prêts bonifiés proposés par les grandes économies développées et les organisations internationales telles que la Banque mondiale, comme elle le faisait par le passé. ». Et celui-ci de conclure « la BAII sera une nouvelle source de financement pour le développement des infrastructures malaisiennes 17http://ci2.mofcom.gov.cn/article/chinanews/201506/20150601009998.shtml» .

En choisissant de lancer une banque d’investissement dans les infrastructures, la Chine favorise le développement endogène et concret, défiant là encore les institutions financières internationales auxquelles il est souvent reproché une déconnexion. Le fonctionnement de la BAII ressemblera probablement à celui de la Banque mondiale dans les années 1960, lorsque des spécialistes du développement ayant une expérience de terrain en formaient l’ossature et fixaient des conditions de prêts encore acceptables pour les bénéficiaires. C’est seulement à la fin des années 1980 que la Banque mondiale a commencé à mettre en œuvre le consensus de Washington en encourageant la libéralisation économique et politique à tout crin, au mépris parfois des réalités locales.
Le véritable critère de réussite de la BAII sera son efficacité. Car les conseils d’administration permanents du FMI et de la Banque mondiale s’enlisent souvent dans des détails de gestion, et accordent des prêts sous des conditions contradictoires. Pour Joseph Stiglitz, «Si les dirigeants occidentaux croient réellement à la concurrence, à l’innovation et à la méritocratie, ils doivent soutenir la BAII 18http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/07/01/le-succes-eclatant-mais-ambigu-de-la-banque-asiatique-d-investissement-pour-les-infrastructures_4665869_3232.html» .

1.A.2 . Une autre allocation de l’épargne à l’échelon international .

A un moment où un peu partout, la demande agrégée (demande totale émanant des ménages, entreprises, et de l’Etat) est insuffisante, la BAII aurait un rôle supplémentaire : orienter l’épargne là où elle est le plus utile. Les marchés financiers ne parviennent pas toujours à la diriger des pays où les revenus sont supérieurs à la consommation vers ceux qui sont en manque d’investissement. Lorsqu’il était président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke a déclaré à tort que le problème tenait à une épargne excessive. Mais, dans un monde où les besoins en infrastructures sont massifs, le problème n’est pas celui d’une épargne surabondante ou d’un manque d’opportunités d’investissements fructueux. C’est celui d’un système financier « qui excelle dans la manipulation des marchés, dans la spéculation et le délit d’initié, mais qui ne remplit pas sa fonction essentielle : ajuster l’épargne à l’investissement à l’échelle globale. » souligne Joseph Stiglitz. Il ajoute que nous devrions « accueillir favorablement l’initiative chinoise visant à « multilatéraliser » les flux financiers consacrés aux investissements. C’était exactement la politique américaine dans la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, lorsque la Banque mondiale a été instituée pour multilatéraliser les fonds de développement, qui venaient essentiellement des Etats-Unis. ». À l’issue de la Seconde guerre mondiale, en effet, les Etats-Unis furent non seulement la première puissance militaire et économique mondiale, mais aussi le principal créateur de biens communs à travers le plan Marshall et leur financement de l’ONU, du FMI et de la Banque mondiale. Aujourd’hui, en raison de leur endettement massif, ils sont contraints de limiter ce financement, et la Chine entend bien prendre le relais.

B. Renforcement ou concurrence : quelles relations entre BAII et institutions historiques ?

1.B.1 . Des besoins croissants qui nécessitent la présence de tous

La demande mondiale de financement des infrastructures est énorme. Rien que pour l’Asie, elle devrait s’élever à 8 000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, selon la Banque asiatique de développement 19http://www.banquemondiale.org/fr/news/speech/2014/10/09/remarks-world-bank-group-president-jim-yong-kim-opening-press-conference-imf-world-bank-annual-meetings-2014. La Banque mondiale a chiffré les besoins d’investissements en infrastructures des pays en développement à 1.500 milliards dollars chaque année pour des routes, des ponts, des aéroports, des centrales de production d’énergie ou des usines de désalinisation. « D’ici 2030, nous aurons sans doute besoin de 40% d’énergie supplémentaire tout en faisant face à un déficit de 40% d’eau douce. Toute nouvelle initiative qui permettrait de mobiliser des financements pour combler ce déficit d’infrastructures est certainement tout à fait bienvenu 20http://www.worldbank.org/en/topic/sustainabledevelopment/whats-new?displayconttype_exact=Speeches+and+Transcripts&qterm=&lang_exact=French» a déclaré son président. Avec leurs capacités financières actuelles, même si la Banque mondiale, la BAD et la BM renforcent leurs investissements, il demeurera difficile de combler cet écart. Il s’agit donc d’un gâteau assez grand pour être partagé, et la BAII ne représente pas nécessairement, dans ces conditions, une menace pour les autres organismes prêteurs multilatéraux.
De plus, la concurrence vertueuse entre acteurs économiques au niveau mondial est l’un des principes assumés du FMI, de la Banque mondiale et des grandes organisations internationales. Il serait donc cohérent qu’elles acceptent l’apparition de cette nouvelle banque d’investissement. Cette mise en concurrence pourrait permettre d’impulser des changements et de faire évoluer plus rapidement les structures.

Conséquemment, les chefs de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ont fait part de la volonté des deux organisations de renforcer leur coopération avec la BAII afin de répondre à l’immense potentiel de la région. « Les besoins en infrastructures dans les pays en développement sont énormes. Ils sont énormes en Asie. Ce que nous espérons pleinement, c’est de travailler étroitement avec la BAII », a affirmé le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim. « Nous sommes les témoins de l’émergence d’un nouvel acteur majeur dans le domaine du développement avec la BAII qui a le potentiel pour devenir une nouvelle force importante pour le développement des pays pauvres et émergents », a poursuivi M. Kim la qualifiant« de solide alliée potentielle 21http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/436572/banque-asiatique-d-investissement-dans-les-infrastructures-ce-que-chine-veut» .Il a également fait remarquer que la Banque mondiale avait beaucoup plus d’expertise technique que la BAII à l’heure actuelle et qu’elle avait toutes les raisons de préparer des projets en collaboration affirmant qu’il« fera tout ce qui est en mon pouvoir pour trouver des façons innovantes de travailler » avec cette institution. De son côté, la directrice générale du FMI Christine Lagarde a indiqué que la proposition d’une institution complètement dédiée aux infrastructures à un niveau régional lui semblait attractive. « C’est une organisation régionale bienvenue avec laquelle le FMI a l’intention de coopérer 22http://french.xinhuanet.com/economie/2015-04/17/c_134158005.htm» , a-t-elle souligné. Réciproquement, la Chine, à travers la voix de son ministre des finances, a fait savoir que « La banque devrait coopérer avec les banques de développement existantes. Pour de nombreux projets de grande envergure, le co-financement par des institutions de types divers et la représentation des intérêts de tous seront toujours la meilleure solution 23http://french.xinhuanet.com/economie/2014-11/08/c_133774565.htm» .

1.B.2. Complémentarité plutôt que confrontation ?

En réalité, cette banque principalement axée sur la construction d’infrastructures sera un complément très utile plus qu’une rivale des banques existantes non seulement quantitativement, à la vue des besoins, mais également qualitativement. Les objectifs de la BAII ne sont pas en effet pas les mêmes que ceux de la Banque mondiale, dont les priorités sont davantage axées sur la réduction de la pauvreté. Le directeur du Département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI, Masood Ahmed, a également souligné que le FMI et la BAII accordent tous deux des prêts, mais avec des objectifs différents. « Contrairement à la BAII, le FMI n’assure pas le financement d’investissements dans les infrastructures en Asie de l’est, en Asie centrale et dans d’autres régions du monde, » a-t-il déclaré. « Par ailleurs, au FMI, notre objectif ne consiste pas à fournir du financement et à favoriser l’investissement dans les infrastructures, mais à octroyer des prêts aux États membres sollicitant des ressources monétaires et du soutien technique afin de répondre à leurs besoins de financement en cas de contraintes, 24http://french.beijingreview.com.cn/economie/txt/2015-05/07/content_686536.htm» a précisé M. Ahmed. La BAII entend donc jouer un rôle complémentaire aux côtés des banques multilatérales de développement existantes.

2. Un projet qui suscite des réactions diversifiées : doutes, craintes, opportunités ?

2.A . Les Etats-Unis restent en marge.

Dès l’annonce du projet d’institution de la BAII par le président chinois, les Etats-Unis ont exprimé des réserves vis-à-vis de cette nouvelle institution. Les Etats-Unis se disent notamment préoccupés par des standards de gouvernance trop bas, notamment au plan social et écologique. « Notre préoccupation a toujours été de savoir si toute nouvelle institution d’investissement adhèrera aux standards élevés en cours chez les institutions financières internationales. Va-t-elle protéger les droits des travailleurs ? L’environnement ? Va-t-elle faire face à la corruption ? 25http://www.lavoixdunord.fr/economie/les-europeens-rejoignent-en-masse-la-banque-asiatique-ia0b0n2717782» , s’interroge M. LEW, Secrétaire américain au Trésor.« Les Etats-Unis se félicitent de la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. Mais les normes doivent imposer une véritable prise de décisions multilatérale, des exigences de prêts et des garanties environnementales et sociales 26http://www.latribune.fr/economie/international/l-aiib-respectera-les-normes-internationales-476625.html» , a ajouté John Kerry. M. Psaki, responsable du FMI s’est elle aussi exprimée sur les standards requis en matière de financements internationaux « Notre position concernant la BAII reste claire et constante. […] Nous considérons qu’il y a un besoin urgent de renforcer les investissements dans les infrastructures dans le monde. Nous considérons que toute nouvelle institution multilatérale devrait incorporer les normes de qualité que la communauté internationale a élaborées collectivement au sein de la Banque mondiale et de la banque régionale de développement 27http://french.xinhuanet.com/monde/2015-03/18/c_134077300.htm» , a-t-elle déclaré. Par ailleurs, les USA évoquent le risque que Pékin utilise cette infrastructure pour ses propres intérêts géopolitiques et économiques en tant que puissance émergente.

Cette opposition des Etats-Unis à la BAII peut sembler contradictoire avec leurs priorités économiques affichées.
« L’attitude américaine est d’autant plus paradoxale que la BAII contribuera à ce que d’autres pays asiatiques bénéficient d’atouts analogues. Le gouvernement américain clame les vertus du libre-échange, mais, dans les pays en développement, c’est le manque d’infrastructures qui constitue le principal obstacle au commerce – bien avant les barrières douanières. » commente ainsi le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz.« Peut-être l’opposition américaine à la BAII est-elle l’illustration d’un phénomène économique que j’ai souvent observé :les entreprises sont toujours favorables à la concurrence, sauf dans leur propre secteur. 28http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=02149317111» , ajoute t-il.
Cette opposition américaine n’est pas sans précédent ; elle rappelle le combat que les Américains menèrent contre la « nouvelle initiative Miyazawa 29http://www.mof.go.jp/english/international_policy/financial_cooperation_in_asia/new_miyazawa_initiative/» , un projet émanant du Japon et consistant à offrir 80 milliards de dollars d’aide aux pays touchés par la crise de l’Asie de l’Est à la fin des années 1990. Comme aujourd’hui, Washington avait alors souhaité conserver le système existant, sans proposer de source de financement alternative aux prêts sous conditions alors en vigueur, ce qui avait été interprété comme la défense de l’hégémonie américaine en matière de financements internationaux. Or on a pu constater par la suite que le manque d’argent, combiné à des idées erronées sur la manière de réagir à la crise a prolongé et aggravé le ralentissement en Asie dans les années 90. Dans le cas présent, l’opposition des Etats-Unis à la BAII est d’autant plus difficile à comprendre que les politiques d’infrastructures semblent moins sensible aux idéologies et à l’influence des intérêts particuliers que l’attribution des prêts dont il était alors question.

2. B. Malgré l’opposition Américaine, de nombreuses adhésions stratégiques.

On est souvent trahi par ses alliés, mais le coup a néanmoins été rude pour Washington. Le gouvernement conservateur de David Cameron a en effet jugé que la place de la City de Londres dans une économie globale aujourd’hui tournée vers l’Asie valait un accroc à la « relation spéciale » qui lie historiquement le Royaume-Uni aux Etats-Unis. Début mars 2015, le Royaume-Uni a décidé de devenir un membre fondateur de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Rejoindre la BAII représente « une chance sans équivalent pour le Royaume-Uni et l’Asie d’investir et de dégager ensemble de la croissance. Je souhaite donner à nos compagnies les meilleures opportunités pour travailler et investir sur les marchés les plus dynamiques du monde 30http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/14/la-banque-asiatique-divise-washington-et-londres_4593630_3234.html» , s’est félicité M. Osborne, ministre des finances. Le rapprochement Londres-Pékin sur le plan bancaire se situe dans la logique d’une stratégie britannique de rapprochement avec la Chine dictée notamment par la volonté d’ériger la City en centre stratégique des investissements en monnaie chinoise. Dès 2013, l’Angleterre avait autorisé les capitaux chinois à investir les centrales nucléaires britanniques et grandement facilité l’attribution de visas aux hommes d’affaires.« Je n’ai aucune difficulté avec le fait que les Chinois investissent dans le nucléaire, dans les aéroports, voire dans les infrastructures liées à l’eau 31http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/banque-asiatique-pour-les-infrastructures-comment-la-chine-a-double-washington-462681.html» déclarait M. Osborne fin 2014.

Clubs de foot, vignobles, grandes entreprises … Dans un contexte économique difficile, les Européens se livrent une concurrence acharnée pour attirer les investisseurs chinois. C’est pourquoi, dans la foulée de l’annonce d’adhésion de la Grande Bretagne, ce sont trois autres grands pays européens : la France, l’Italie, et l’Allemagne qui ont souhaité devenir membres fondateurs de la BAII. Fondamentalement, ils semblent conscients du fait que la Chine et l’Asie dans son ensemble deviendront sans aucun doute la région la plus dynamique dans le monde. L’Asie est devenue une destination d’investissements précieuse dont aucun pays ne peut se passer. Duncan Freeman, chercheur à l’Institut d’études sur la Chine contemporaine, a déclaré que ces quatre pays européens ont décidé d’adhérer à la BAII “pour prendre part à une initiative économique majeure dans la région avec la croissance la plus rapide dans le monde. L’économie asiatique a pris son envol, et la demande énorme dans le domaine d’infrastructure fait de l’Asie un terrain fertile pour l’investissement. 32http://www.legrandsoir.info/pourquoi-le-monde-a-t-il-besoin-de-la-banque-asiatique-d-investissement-dans-les-infrastructures-baii.html» Ces pays voient également l’influence régionale de la Chine qui peut fournir des “garanties” pour les investissements européens dans la région asiatique, la Chine jouant un rôle important dans la coopération euro-asiatique. Joseph Stiglitz a lui aussi commenté ce ralliement: « Félicitons le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Allemagne et les autres pays qui rejoignent la BAII. Espérons que d’autres suivront en Europe et en Asie, de telle sorte que, à l’image de ce qui s’est passé en Chine, l’amélioration des infrastructures contribue à améliorer le niveau de vie ailleurs en Asie. 33http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/02149317111-pourquoi-il-faut-soutenir-la-banque-asiatique-dinvestissement-1117549.php» De même, en visite à Pékin, le président du Parlement européen, Martin Schulz, s’est réjoui à l’idée que quatre pays européens rejoignent la BAII.

Si les USA émettent des doutes sur la transparence et les normes appliquées par la BAII, et arguent de ce fait pour rester en marge,
les Européens affirment que leur action au sein de l’AIIB permettra justement de relever les standards. « L’Allemagne aussi veut que la BAII atteigne les standards élevés de la Banque mondiale et d’autres institutions financières régionales. Nous partons du principe que cela pourra se faire le mieux au moyen d’une coopération constructive dans l’élaboration de ces standards 34http://www.lopinion.ma/def.asp?codelangue=23&info=1082&date_ar=2015-3-19%2019:54:00» ,a déclaré le ministre allemand des Finances W.Schauble. Mais si cette volonté d’influencer positivement la gouvernance « de l’intérieur » est un engagement notable, ce n’est pas là le seul argument de l’adhésion des signataires au le projet. Cette institution financera des infrastructures qui seront autant d’opportunités pour les entreprises au service du développement économique en Asie, facilitant ainsi les activités des entreprises qui y sont d’ores et déjà installées, dont nombre d’entreprises européennes, et créant de nouveaux débouchés et accès à de nouveaux marchés.Les pays de la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord sont eux aussi présents en nombre parmi les signataires. Ils pourraient tirer profit du financement de nouveaux projets d’infrastructures nécessaires dans la région, certains de ces projets étant réalisés au sein même de ces pays, d’où la possibilité d’investissements externes accrus.

3. La BAII : Prémices d’un basculement des pouvoirs des USA vers la Chine ?

A. Quelle stratégie pour la Chine ?

Les détracteurs de la BAII s’inquiètent du fait qu’elle aurait aussi pour fonction de développer la politique intérieure chinoise hors de ses frontières. En acceptant de jouer l’ouverture dans la composition de la banque(9 places sur 12 réservées à des membres asiatiques au sein du Conseil de décision), la Chine a souhaité rassurer ses voisins plus modestes sur le fait qu’ils auront leur mot à dire. Les trois sièges restants ont contribué à attirer les autres, notamment les Européens.
Pékin a su se montrer généreux, ce qui a contribué à prouver aux inquiets de l’opacité et de l’autoritarisme chinois (USA en tête) qu’ils ont eu tort. Il est vrai qu’en tant que premier contributeur aux finances de la BAII, la Chine aura la possibilité de faire entendre sa voix à travers la Banque par la suite.

Et de fait, la Chine n’a pas fait mystère de son intention d’associer la future banque aux lignes de sa politique étrangère. La BAII a vocation à jouer un rôle crucial dans le projet chinois de « nouvelle route de la Soie » qui relie la Chine à l’Europe par voie terrestre, et par voie maritime via l’Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient.
Alors que l’Amérique se tourne vers l’Asie, la Chine « pivote » vers l’Occident. En plus de sa contribution initiale de 50 milliards de dollars en faveur de la BAII, la Chine s’apprête à investir 40 milliards de dollars dans la route de la Soie, 32 milliards de dollars dans la Banque de développement de Chine et 30 milliards de dollars dans la Banque d’export-import de Chine. Pékin développe ainsi une stratégie fondée sur le réinvestissement massif de ses réserves (les plus volumineuses au monde soit environ 4 000 milliards de dollars). Le projet de la BAII offre donc à la Chine, qui dispose d’amples liquidités à placer, une opportunité de partager les risques, tout en en tirant des dividendes politiques. La Chine cherche des débouchés à une industrie sur capacitaire, tout en poursuivant un intérêt diplomatique.Contribuant au « soft power chinois », la BAII pourrait aussi profiter aux firmes chinoises en quête de nouveaux débouchés.« Les infrastructures, c’est un secteur qui est sous-développé et manque cruellement d’investissements en Asie. Pour la Chine, c’est un marché où elle pourra devenir leader sans faire beaucoup d’efforts. En même temps, elle pourra poursuivre un deuxième objectif accroître le développement de ses investissements à l’étranger pour contrer le ralentissement de la croissance. Je suppose que l’une des conditions d’obtention des crédits de l’AII sera l’utilisation de l’équipement et des technologies chinoises, voire même l’utilisation de la main-d’œuvre chinoise. C’est un moyen efficace pour la Chine de soutenir son économie 35http://www.humanite.fr/quand-la-chine-bouscule-bretton-woods-571565» , analyse Sergueï Loukonine, responsable du secteur de l’économie et de la politique de la Chine au Centre des recherches sur l’Asie-Océanie.

B. Un nouveau pouvoir monétaire et financier

Washington avance un autre motif d’inquiétude : celui de la montée en puissance de la monnaie chinoise au détriment du dollar. La Chine souhaite depuis de nombreuses années voir sa propre monnaie, le renminbi, jouer un rôle central dans le système monétaire international (SMI), afin que soit reflété son poids en tant que moteur de la croissance mondiale, mais aussi en tant que plus grand créancier de la planète. Depuis 2009, les dirigeants chinois appliquent un ensemble de politiques d’encouragement à l’utilisation du renminbi dans le commerce régional et de réduction de sa dépendance à l’égard du dollar dans le cadre des paiements internationaux.
La BAII participerait de la « dédollarisation » de l’économie si les échanges, prêts et annuités venaient à se faire en yuan chinois : le rôle de la monnaie chinoise se développera , en tant que monnaie d’échange mais aussi en tant que monnaie de réserve.
Accélérer le passage à un système monétaire international permettant l’utilisation de monnaies plus diversifiées pour les paiements et investissements internationaux réduirait le risque et l’impact des crises de liquidité, tout en découplant le système monétaire international des conditions économiques et intérêts souverains d’un seul et unique pays : Les Etats Unis. « C’est positif pour la Chine et toute la région évidemment et pour le poids du yuan. La demande concernant la devise chinoise devrait augmenter avec le temps, ainsi que sa valeur. 36http://fr.euronews.com/2015/04/21/gros-plan-sur-la-banque-asiatique-d-investissement-pour-les-infrastructures-aiib/» affirme ainsi Joseph Stiglitz. La BAII peut-elle pour autant faire de la Chine le nouvel argentier du monde ?
La finance internationale ne se résume pas uniquement aux organisations internationales. Les institutions financières privées occupent une place centrale sur les marchés. De ce point de vue, la Chine est pour l’instant bien loin de peser autant que les grands acteurs financiers privés que sontêtre les banques américaines ou européennes. On constate néanmoins que les banques commerciales chinoises occupent des places de plus en plus importantes dans le classement des grandes institutions financières privées mondiales. Consciente que la monnaie chinoise doit désormais être prise en compte comme une devise de premier plan sur le plan international, Christine Lagarde a rappelé qu’elle approuvait les efforts de Pékin pour inclure le yuan chinois parmi les devises de réserve du FMI : « Nous allons travailler étroitement avec les autorités chinoises à ce sujet 37https://www.imf.org/external/french/np/speeches/2012/061212f.htm» .

C. Un monde réellement multipolaire ?

La BAII conforte donc le nouveau statut de la Chine dans la gouvernance mondiale : d’atelier du monde, celle-ci est aujourd’hui en passe d’en devenir le banquier. Ses réserves de changes(plus de 40.000 milliards de dollars), ses investissements directs en croissance exponentielle, le renforcement du rôle du renminbi et le projet de “nouvelle route de la soie”, constituent autant d’éléments qui rendent Pékin incontournable dans l’économie mondiale et ses perspectives de croissance. Alors que depuis les années 2000 l’immense rattrapage économique entrepris pat l’empire du milieu lui a permis d’obtenir une croissance à 2 chiffres, la BAII lui offre des perspectives de croissance « hors les murs ». À ce propos, la présidente du FMI a évoqué de façon positive le ralentissement de la croissance chinoise (à 7,4% en 2014, au plus bas depuis vingt ans), se référant à « la nouvelle normalité » affichée par les dirigeants chinois. Pékin affiche sa volonté de rééquilibrer son modèle économique au profit de la demande intérieure, quitte à voir sa croissance se modérer. « Cela devrait conduire à une croissance ralentie mais plus sûre et plus durable, avec un accent sur l’innovation et l’entrepreneuriat, ce qui sera bon pour la Chine et bon pour le monde 38https://www.imf.org/external/french/np/speeches/2012/061212f.htm» , a déclaré Mme Lagarde.

En dépit des inquiétudes de Washington sur la gouvernance de la future banque et les risques d’opacité, nombre de ses alliés ont pris acte du nouveau poids économique de la Chine, devenue un partenaire incontournable dans la région. Avant même toute demande de prêt reçue, ou réussite de projet impulsé par la BAII, il s’agit là d’une première victoire de l’Empire du milieu. Outre la mise en place effective de la Banque et sa force d’attraction, il faut souligner ce nouveau positionnement de la Chine dans la mondialisation. « La BAII est l’exemple type d’une Chine plus disciplinée et plus pointue dans sa perception de l’action économique, qui privilégie l’engagement constructif plutôt que la force brute 39http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/436080/investissement-ralliement-derriere-le-geant-chinois» explique M. Prassad, ancien chef de la division Chine du FMI. La création de la BAII indique clairement que le rapport des forces mondiales bascule effectivement vers l’Asie. Après la crise financière asiatique de 1997, les États-Unis étaient parvenus à bloquer la création d’un Fonds monétaire asiatique (Asian Monetary Fund) 40http://www.economist.com/blogs/freeexchange/2009/05/an_asian_monetary_fund . Vingt ans plus tard, c’est la volonté de la Chine qui a prévalu. De plus, après avoir échoué à empêcher d’autres pays de se joindre à la nouvelle Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, l’administration américaine rencontre des difficultés dans la négociation du grand accord commercial qui devait lui permettre d’asseoir son influence dans la région Asie-Pacifique, le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) 41http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/tpp-ptp/index.aspx?lang=fra. Les États-Unis n’ont aujourd’hui plus d’autre choix que de s’adapter à la réalité d’un monde qui ne répond plus à l’ordre de la guerre froide, ni à celui de la Pax americana de la période qui suivit l’effondrement de l’URSS.
Selon l’ancien secrétaire d’Etat au Trésor américain Larry Summers, «On se souviendra peut-être de ce moment (la création de la BAII ndlr) comme celui où les Etats-Unis ont perdu leur rôle de garant du système économique mondial. 42http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/02119578223-limpossible-reforme-de-la-gouvernance-du-fmi-1116767.php»

Les institutions financières mondiales, dominées par les économies développées, n’ont pas su évolué jusqu’ici au rythme de l’économie mondiale. Alors que le poids des économies émergentes ne cesse d’augmenter dans le PIB mondial, et que ces dernières s’estiment sous-représentées, les IFI ont reconnu cette évolution mais peu agi concrètement pour s’y adapter. Il est temps que les pays développés, qui souhaitent plus que jamais bénéficier de la croissance du monde en développement et de l’expansion de son marché, donnent une vraie place aux pays en développement dans la gouvernance économique globale. La BAII ne devrait pas être un théâtre de confrontation entre la Chine et les États-Unis, dans la mesure où ces deux pays ont de vastes intérêts et responsabilités en commun. Mais ils devront négocier une relation “gagnant-gagnant” dans laquelle le développement de l’Asie profitera effectivement à toute la région, et au monde. À terme, un système plus juste, raisonnable et ordonné bénéficierait à tous. S’il semble légitime que Washington se demande si ce nouvel ordre sera aussi ouvert et réglementé que l’ordre d’inspiration américaine, la réponse n’émergera qu’à la condition d’un dialogue avec la Chine au sujet des réformes de la gouvernance mondiale. À s’entêter dans une politique d’endiguement, de blocage de la BAII, d’accusations de manipulation monétaire ou de refus des réformes du FMI pouvant accroître l’influence de la Chine, les Etats-Unis pourraient bien risquer de perdre leur capacité à façonner l’avenir. La Chine est aujourd’hui en position de force. Ce n’est plus seulement une histoire de PIB, il s’agit de savoir qui édictera les normes, les standards et les pratiques économiques du monde dans les années à venir.
À la loyale, Pékin obtient avec la création de la BAII un beau succès.

Réferences

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Xinhua, 24 octobre 2014, « Xi jinping espère une meilleure gouvernance financière mondiale »
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http://www.aiibank.org/html/2015/NEWS_0629/10.html
http://www.aiibank.org/uploadfile/2015/0629/20150629094900288.pdf
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Le Figaro du 17 juillet 2014 – Article de Pierre Rousselin
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À propos de l'auteur

Elodie Poncet

De formation initiale en économie et droit, Elodie Poncet participe au programme Conventions depuis 2012, en tant que secrétaire éditoriale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions relatives au numérique, à la monnaie, et au domaine bancaire.