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L’avenir des négociations climatiques vu d’Inde

 Sans doute a-t-on sous-estimé, tout le temps de la préparation du sommet de Copenhague, combien les perspectives sur la conférence et ses enjeux variaient d’une délégation à une autre. Aujourd’hui, il est clair que l’accord signé à l’issue du sommet a déçu plusieurs parties de l’opinion publique mondiale, qui en attendaient un plan de route global, équitable et viable pour combattre le réchauffement climatique. Ceux qui avaient espéré des progrès substantiels à Copenhague le faisaient pourtant à leurs propres risques. Car l’analyse post mortem montre bien qu’il ne s’agissait pas simplement dans ce sommet de réduction des émissions et des montants de l’aide financière accordée en contrepartie, mais aussi de redéfinir des équilibres géopolitiques. C’était là un aspect moins attendu du sommet. Les prochains mois diront ce qu’il en est de cette recomposition, et quel sera l’avenir, non seulement du protocole de Kyoto, mais de la négociation climatique dans son ensemble, avec l’Inde dans un rôle central.

Si l’accord engage ses signataires à limiter le réchauffement planétaire à 2 °C, il ne détaille aucun plan global de réduction des émissions qui permettrait d’atteindre ces objectifs. Le Premier Ministre indien, Manmonhan Singh, a pourtant déclaré que malgré la modestie des avancées de Copenhague, il était désormais incontestable que les gouvernements devraient s’engager tôt ou tard dans la voie d’un développement compatible avec de faibles émissions de gaz à effet de serre [1. «Copenhagen outcome not satisfactory », Deccan Herald, 4 janvier 2010.].

L’Inde dans l’accord de Copenhague

 Le ministre indien de l’Environnement et des Forêts, Jairam Ramesh, a estimé pour sa part que l’Inde avait conclu avec l’accord de Copenhague « une bonne affaire ». Ce point de vue se comprend à la lumière des limites qui avaient été posées clairement par l’Inde, dont aucune n’a effectivement été franchie : « […] pas d’objectifs chiffrés, pas de date fixée pour le pic d’émissions, et pas de contrôle international ». Et ce sont effectivement autour de ces enjeux-là que s’organise aujourd’hui le débat public sur la négociation climatique en Inde.

La stratégie indienne à Copenhague a pour l’instant porté ses fruits : les engagements internationaux ont été limités et l’architecture de la politique climatique est toujours à deux étages, sans que l’Inde ait pour autant été dénoncée comme agent de blocage. Ceci grâce à l’alliance conclue avec d’autres pays BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine), et au soutien du groupe africain, qui a défendu avec fermeté le protocole de Kyoto.

En cohérence avec l’accent politique placé jusqu’ici sur l’équité entre états, la stratégie de négociation indienne a eu pour principal objectif à ce jour de s’assurer que le régime climatique international évolue conformément aux principes de responsabilité et de capacité différenciées. La « responsabilité différenciée » fait reposer la limitation du réchauffement climatique essentiellement sur les pays industrialisés, responsables de la majorité (75 %) des stocks actuels de gaz à effet de serre. Un certain nombre de pays en voie de développement s’appuient également sur la faiblesse de leur taux d’émission par tête pour démontrer leurs capacités d’action réduites : dans le cas de l’Inde, ce taux est dix fois inférieur à celui des états-Unis. Il en résulte une position de principe sur les règles de décision acceptables dans le cadre du partage équitable d’un « volant » climatique et de développement.

Cette question est posée de manière tout à fait différente dans le monde industrialisé. Todd Stern, le chef de la délégation américaine, l’a exprimé clairement dans les propos qu’il a tenus au cours du sommet : « […] on a vécu presque 200 ans, depuis le début de la révolution industrielle, sans avoir la moindre idée que les émissions de CO2 pouvaient créer un effet de serre… ce n’est donc pas la bonne manière de voir ce qui s’est passé. Nous reconnaissons entièrement notre rôle historique dans l’accumulation des gaz qui sont aujourd’hui dans l’atmosphère. Mais je suis catégoriquement opposé à ce qu’on en déduise un quelconque sentiment de culpabilité, ou un devoir de réparation [2. Cité dans Darren Samuelsohn, « No “Pass” for Developing Countries in Next Treaty – Stern », Greenwire, 12 septembre 2009.] ».

Les gouvernements des pays industrialisés défendent donc une démarche qu’ils voient avant tout comme pragmatique, entièrement tournée vers une inflexion de la courbe des émissions, et non vers la réparation de torts passés. Ce différend fondamental continue d’entraver les négociations, et il n’a été que partiellement abordé à Copenhague.

De « Hopenhagen » à « Make-It City »

Beaucoup ont donc été déçus par les résultats de Copenhague, et la pression commence déjà à monter pour que davantage soit accompli à Mexico. Mais l’une des leçons à tirer de Copenhague est que, à défaut d’un virage politique plus prononcé, la tension conceptuelle fondamentale dans les négociations climatiques, entre différenciation et comparabilité, conduira inexorablement à des accords édulcorés, dont l’impact sur l’environnement sera très faible. Le débat national en Inde devrait maintenant se porter sur le rôle que l’Inde peut jouer pour dénouer cette tension.

Copenhague a renforcé la perception qu’à l’exception des états-Unis et de la Chine, aucun pays n’était individuellement en mesure d’infléchir le cours des négociations climatiques. Or, une stratégie de la négociation poursuivant un double objectif, celui de l’équité de traitement et celui de l’efficacité énergétique, sera plus difficile à bâtir encore que celle dans laquelle nous étions engagés jusqu’ici. Il pourra notamment s’avérer nécessaire de faire des concessions sur un plan pour avancer sur l’autre.

Par exemple, pour préserver le principe de différenciation, l’alliance avec les pays BASIC s’est avérée extrêmement efficace. Elle a permis de maintenir la pression et de sauver le protocole de Kyoto. En revanche, si l’efficacité carbone est également un objectif, alors l’augmentation rapide du niveau des émissions en Chine va très vite devenir une source d’inquiétude. Sur la base de ses engagements actuels de réduction, le niveau d’émissions en Chine en 2020 sera 2,4 fois supérieur au niveau des émissions aux états-Unis ; le niveau des émissions par tête serait à 55 % ou 60 % du niveau américain, mais supérieur de 30 % au niveau européen, et en tout état de cause, bien supérieur à la moyenne mondiale. Pour faire face à ce problème, il va falloir développer une notion plus sophistiquée, plus nuancée de la différenciation, qui préserve malgré tout les intérêts indiens.

Du changement climatique au changement géopolitique

L’Inde a peut-être été l’une des grandes surprises de Copenhague. Après avoir fait entendre des messages quelque peu contradictoires dans la période de préparation de la conférence, New Delhi a fini par signifier clairement que cette réunion portait pour elle sur des choix stratégiques de long terme. L’Inde souhaite une alliance avec les états-Unis et l’Europe, entre égaux, mais elle refusera de leur faire simplement allégeance.

C’est ainsi que l’on peut expliquer par exemple la prise de position indienne contre les dispositifs de vérification juridiquement contraignants. Le risque serait en effet que l’Ouest transforme la vérification des engagements de réduction en argument pour imposer des « droits de douane verts », ou même pour pratiquer l’espionnage industriel.

Les états-Unis et l’Europe tentant de pousser les mécanismes de contrôle, les inquiétudes indiennes ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour la Chine, qui a proposé une alliance à l’Inde, alors même que ces deux pays ont assez peu de choses en commun, en matière de niveau et de répartition des émissions de GES. L’Inde s’est alors tournée vers ses partenaires IBSA, le Brésil et l’Afrique du Sud. Et c’est à la porte de ce conclave élargi que le président Obama s’est ensuite trouvé contraint de frapper pour débloquer la situation.

Deux messages importants sont ainsi passés à Copenhague : l’Inde a dit à l’Ouest que leur partenariat ne peut être considéré comme un acquis – car elle a d’autres options stratégiques. La Chine, quant à elle, a montré qu’elle serait ouverte à une relation d’un type nouveau avec l’Inde, fondée sur l’intérêt mutuel.

L’Ouest semble avoir pensé se trouver face à une négociation de commerce international – comme en atteste la chute des prix sur les marchés européens de droits à polluer lorsqu’il est devenu évident que les discussions n’aboutiraient pas à un accord global sur le marché climatique. La Chine pensait également négocier un accord commercial, tout en gardant un éventail d’options stratégiques de nature à la servir de manière plus générale. Pour l’Inde, il s’agissait de prendre acte d’un nouvel équilibre géopolitique.

Si les états-Unis et l’Europe veulent entraîner l’Inde – et avec elle une part non négligeable des pays en développement – dans un programme ambitieux de réduction des émissions qui prépare un régime climatique acceptable, il leur faudra renoncer à imposer des mesures que New Delhi voit comme protectionnistes ou en tout cas protectrices des intérêts économiques de l’Ouest.

En bref

Les vrais enjeux de Copenhague étaient donc géopolitiques, purement et simplement. L’Inde, la plus grande démocratie du monde, forte d’une économie prospère et d’une des plus grandes populations anglophones du monde, est un allié naturel pour les états-Unis et l’Europe. Néanmoins, échaudée par ses expériences récentes, avec les états-Unis dans le domaine de la coopération nucléaire, et avec l’Europe dans le domaine du commerce international, elle se méfie. Ce climat de suspicion a permis à Beijing de passer une alliance avec New Delhi, à Copenhague, alors même que tant de sujets opposent ces deux puissances émergentes.

Avoir la démocratie la plus peuplée du monde à ses côtés, plutôt qu’aux côtés de la Chine, mérite sans doute quelques concessions – pour définir la politique climatique de demain, mais aussi dans un but stratégique plus vaste. À Copenhague, l’Ouest a mis l’Inde et la Chine dans le même panier, et cette erreur de calcul s’est avérée autoréalisatrice.

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À propos de l'auteur

Joshi Sachin

Joshi Sachin est directeur adjoint du Centre of Excellence for Sustainable Development (CII-ITC) à New Delhi. Il est l'auteur du rapport « L’innovation, stratégies inclusives et durables » (Sustainable & inclusive innovation, Crossmedia solutions, 2010).