La profession d’avocat est confrontée en ce début de XXIe siècle à des défis considérables. Le présent rapport tente d’identifier quelques-uns de ces défis et d’imaginer, sinon des solutions, du moins des pistes de réflexion permettant au barreau de les relever de manière constructive. La tentation, en effet, devant de tels périls est le repli sur soi, le retour vers le connu. Les problèmes semblent tellement délicats et nouveaux que même la décision de les soulever n’est, en soi, déjà pas facile à prendre, de crainte, par une sorte de pensée magique, d’aggraver le mal en voulant le soigner. Redoutant de prononcer des prophéties auto-réalisatrices, voire des propos suicidaires, beaucoup préfèrent la méthode Coué. À tort car ce qui est en jeu touche à l’identité, voire à l’existence de la profession d’avocat.

Ce rapport est issu des travaux menés avec le Centre de recherche et d’études des avocats du Conseil national des Barreaux tout au long de l’année 2017 sur la place de l’avocat français dans la mondialisation. Rédigé par Antoine Garapon et Sarah Albertin en coordination avec le CREA, il a été présenté lors de la Convention Nationale des Avocats le 19 octobre 2017 dont voici le compte-rendu.

Lire ici le rapport dans son intégralité

THEME 1 : L’AVOCAT ET LA CREDIBILITE

La question de la crédibilité concerne autant les avocats que les juges. Par comparaison avec la France, l’avocat américain est très soigneux dans sa communication avec le juge. Cela s’illustre dans le procès civil. Les difficultés de la justice civile française viennent d’un manque de sérieux du procès civil. Le défi de toutes les professions judiciaires est de le repenser et de le crédibiliser en puisant dans des actes et non dans des statuts.

Les défis de l’avocat concernent la vitalité économique de l’avocat, face à des résolutions de conflits concurrents comme l’arbitrage ou la justice rendue par des juridictions étrangères (comme Londres ou Dubaï). Un rapport de la Law society, préfacé par le Ministre de la Justice britannique, annonçait que la meilleure justice au monde se trouvait en Angleterre. La France est donc dans une compétition face à la vitalité économique londonienne. Or, on ne peut que reconnaitre la qualité de la justice anglaise, notamment au regard de l’importance donnée au fait. Cela force l’admiration et montre les limites de la justice française. La justice anglaise parvient à ce résultat exceptionnel car juges et avocats réussissent à appartenir à une même communauté et à rendre ainsi ensemble la meilleure justice. Tous, juges et avocats, sont sensibles à parvenir à ce résultat.

Un autre facteur de crédibilité est que l’avocat anglais a l’obligation de dire la vérité. Le système de la disclosure permet d’aller effectivement au bout des faits, ce que la justice française ne fait pas en laissant de côté certains leviers juridiques.

Nous sommes aujourd’hui dans une économique mondialisée. La crise économique de 2007 n’a pas encore disparue et nous sommes devenu plus protectionnistes. Les avocats doivent créer une confiance avec leurs clients, mais comment garantir cette confidentialité ? En luttant pour le secret professionnel, notamment, qui déjà attaqué au Royaume-Uni.

Les avocats doivent agir avec honnêteté et responsabilité. Ils ont un devoir vis-à-vis du tribunal. L’avocat ne doit pas induire en erreur le tribunal et ne pas tromper sa religion. Si l’avocat pense qu’il y a une fraude, il doit faire signer à ses clients une déclaration de vérité : c’est-à-dire confirmer la vérité des conclusions. S’il s’avère que les conclusions ne sont pas vraies, il y a une infraction d’outrage à magistrat qui peut mener jusqu’à la radiation de l’avocat.

Le serment de l’avocat fait référence à la dignité et la loyauté. L’art. 4 du code de déontologie européenne interdit de tromper le juge. La France a donc effectivement déjà des règles suffisantes et n’a pas besoin de plus de règlementation. Ce ne sont pas les règles mais la pratique qu’il faut changer. Les avocats doivent veiller dans leur relation avec les clients et les confrères à avoir une réputation d’honnêteté. Si l’avocat a mauvaise réputation concernant sa fiabilité, il perdra le procès devant le tribunal.

En effet, l’avocat ne peut plus se réfugier derrière un statut. La réputation est une autre manière de parler de crédibilité : c’est le crédit social. La question consiste à savoir comment permettre à la France d’avoir un système plus respectable ? Le nombre très important des affaires en justice en France empêche d’avoir un vrai contrôle réputationnel.

Les entreprises travaillent avec des grands cabinets mais pas uniquement. Pour elles il est aussi très important d’être dans une relation de confiance avec leur avocat qui contribue à donner une certaine image à l’entreprise. Dans la relation avocat / client c’est donc une question essentielle.

Par ailleurs, l’objectif d’un avocat anglais est d’aboutir à un deal et non d’aller devant le juge. L’avocat français doit donc s’investir en dehors de la salle d’audience.

En Angleterre, comme en France, la pratique du droit a changé. Aujourd’hui, les clients veulent une solution. On peut parfois atteindre un meilleur objectif en allant au tribunal effectivement. Mais l’avocat doit aussi investir ses relations à l’international pour donner une réponse internationale à son client. La place de la crédibilité et du droit au sein de la société nous vient de l’étranger.

La question de la déontologie est une préoccupation également quotidienne des juristes d’entreprises. Les juristes se rapprochent des avocats de ce point de vue pour créer une même communauté. L’idée est de créer une profession avec une culture commune. Le droit prend de plus en plus d’importance dans nos sociétés et les acteurs du droit ont un rôle de plus en plus important à jouer. Cette crédibilité reste toutefois à construire.

Il y a des domaines que les juristes laissent de côté. La cybersécurité ou la protection des données personnelles sont des sujets majeurs que les juristes n’investissent pas. De même pour la compliance, doit-elle être faite par les auditeurs ?

La question de la réputation émerge du côté de l’avocat comme du juge. La difficulté pour la magistrature est : comment faire en sorte qu’un procès civil aboutisse à une décision de qualité ?

La légitimité des juges vient essentiellement de la réussite d’un concours. Puis, plus ils montent dans leur carrière, plus ils sont confrontés à des problèmes de société (par exemple sur les mères porteuses) ou des problèmes techniques comme le big data, et la légitimité puisée dans la réussite d’un concours en début de carrière n’est plus suffisante. C’est donc en retrouvant une place au sein de la communauté des juristes que leur décision sera crédible.

 

THEME 2 : LA MOBILITE DE LA PROFESSION D’AVOCAT

 

Le rapport sur l’avenir de la profession d’avocat remis au Garde des Sceaux par Kami Haeri évoque que les jeunes avocats ne se voient pas exercer ce métier toute leur vie. Ils se projettent déjà dans le temps dans une certaine mobilité. Ce rapport met aussi en lumière une mobilité dans le champ d’exercice (les domaines : la compliance, la sécurité, les données personnelles, etc.). Cela pose la question de l’exportation du droit français. Puisque si l’on n’exporte pas nos juristes, le droit français ne peut pas s’exporter. Enfin, il y a la question de la mobilité géographique, notamment en Europe. L’AFJE porte la création d’une seule profession du droit.

Autrefois, les jeunes avocats voulaient devenir associé de leur cabinet. Aujourd’hui, ce n’est pas le choix prioritaire. Ils veulent tester plusieurs cabinets, voyager… Il faut comprendre ces changements. Que propose-t-on aux jeunes avocats qui leur soit utile pour aller ailleurs ensuite ?

En Angleterre, il n’y a toujours pas de juges professionnels, on devient juge après avoir démontré son expérience et ses compétences dans d’autres métiers.

En France, du côté des magistrats, il manque une connaissance des affaires globales. Les magistrats n’ont pas d’expérience globale. Il faut favoriser les allers retours à l’étranger et entre les professions. A titre d’exemple, les magistrats ne connaissent pas la compliance ou le contrat management.

En Angleterre, comme aux US, la profession juridique est réunie autour du droit privé tandis qu’en France, c’est tout le contraire. Jusqu’il y 20 ans, le droit privé n’avait pas d’élite et les élites françaises ne connaissaient pas le droit privé.

Les avocats doivent arrêter de se préoccuper de leurs propres systèmes et joindre leurs forces pour donner la meilleure réponse au client. Dans le passé, un client allait voir un avocat avec son problème puis l’avocat envoyait sa facture. Aujourd’hui il faut donner une prévision pour les 6 mois à venir. Les clients demandent une estimation des couts et à l’avocat de faire de la finance.

Un système de droit est vivant dès lors que les tribunaux rendent des décisions qui ont du sens et de l’importance. Aujourd’hui la justice française par rapport à la justice américaine ou anglaise est faible et n’a pas de poids. On préfère même le droit suisse au droit français.

Enfin, il ne suffit plus d’enseigner uniquement le droit dans les écoles d’avocats et de magistrats. Il faut que la formation soit plus pratique.

 

THEME 3 : LA REVOLUTION NUMERIQUE

 

Depuis le développement du numérique, la plupart des clients ne consomment plus le droit comme avant. Il y a toutefois encore une coexistence de la façon de consommer le droit avec des clients qui vont voir l’avocat en le considérant comme un sachant qui donne une information du haut vers bas, mais d’autres, notamment les start-ups, demandent un accompagnement, une cocréation de la solution juridique. Ces clients s’intéressent au carnet d’adresse de leur avocat, son savoir faire et son savoir être ce qui va au-delà de la connaissance du droit. La difficulté pour l’avocat est de savoir à qui il a à faire et ce que son client est prêt à lui acheter lorsqu’il entre dans son bureau.

De nos jours, les gens sont ultra formés, intelligents, et remettent en cause le statut d’expert de l’avocat. Ce dernier doit être un caméléon et savoir comment traiter chaque client. Des directeurs juridiques arrivent chez leur avocat avec un ipad, tandis que ce dernier le reçoit avec ses vieux papiers. Quelle image cela donne-t-il de la profession ?

De même, le rapport au temps a changé. Certains clients demandent à l’avocat de leur trouver une solution sans attendre. Ce n’est pas possible de dire « non » à certains clients comme les start-up innovantes qui prennent des risques. Ils attendent des avocats qu’ils changent leur notion du risque et leur gestion du risque. L’avocat ne leur apporte pas qu’une solution juridique mais aussi concernant leur modèle économique par exemple. Ces clients attendent des avocats qu’ils soient à leur coté pour les « accélérer ». Le vocabulaire lui-même a changé : on parle d’étude de faisabilité et non de legal opinion.

Le juriste est désormais décrit en entreprise comme un business partner car il doit être un apporteur de solution. Le juriste peut aussi créer un marché par la norme. Il peut aider à structurer un marché et apporter une solution avec le législateur. Il est un acteur du droit. Le juriste sera donc de plus en plus un stratège de l’activité économique de l’entreprise. Même si le juriste se retrouve parfois dans ses anciennes contraintes…

Toutefois, les jeunes sont très inquiets du niveau d’exigence demandé : parler 3 langues, être infatigables, peu exigeants sur la rémunération, techniciens du droit et de la compliance… La révolution numérique pourra y apporter une réponse. Faire des dues diligences dans des data room permettra en effet de faire des économies d’énergie. Une partie des avocats reste très réfractaire à cette technologie, mais l’ordinateur promet un gain exponentiel.

Les clients demandent aujourd’hui à l’avocat d’être un deal maker. La technologie est le dernier maillon de la chaine. L’enjeu est de savoir comment nous allons transformer notre réalité.

Le droit doit en effet rester vivant. On ne peut pas laisser aux machines le privilège de faire le droit. Le droit global une construction encore en attente de nouveaux repères. Les juristes doivent participer à cette construction collective. L’avocat doit se saisir de ces changements, il a toute sa place sur le marché du droit et un avenir solide.

 

 

 

Recommandez à vos amis
  • gplus
  • pinterest

À propos de l'auteur

Édouard Jourdain

Edouard Jourdain est docteur en sciences politique et en philosophie de l’EHESS où il a soutenu une thèse intitulée « Le politique entre guerre et théologie. La révision du marxisme et l’ombre de Carl Schmitt ». Spécialiste de Proudhon, Il a publié entre autres Proudhon, Dieu et la guerre (l’Harmattan, 2006), Proudhon, un socialisme libertaire (Michalon, 2009) et L’anarchisme (La découverte, 2013). Chargé de mission sur le projet Conventions (Enjeux croisés du droit de l’économie et de la mondialisation), ainsi que sur les séminaires de philosophie du droit et de philosophie politique, il enseigne aussi la théorie politique notamment à l’Ecole nationale des ponts et chaussées et à l’Institut catholique de Paris.