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Le 20 avril 2010, la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, exploitée par la compagnieBritish Petroleum, explosait et déversait près de 650 millions de litres de pétrole dans le Golfe du Mexique, soit plus de 30fois la quantité de pétrole déversée lors du naufrage de l’Erika. Six ans après cette catastrophe, British Petroleum vient d’accepter de payer la somme de 20,8 milliards de dollars afin de mettre un terme aux poursuites engagées contre elle par les autorités américaines[1]. Le montant de cettetransaction historique,homologuée par la juridiction fédérale le 4 avril 2016,couvre notamment une somme de 8,8 milliards de dollars versée au titre dela réparation du préjudice écologique subi sur le fondement du “Oil Pollution Act”[2].

Cette notion de « réparation du préjudice écologique » est également au cœur de l’actualité française puisqu’un projet de texte, actuellement en discussion devant le Parlement, vise à introduire dans le Code civil un titre relatif à la réparation du préjudice écologique[3].

1 / L’évolution prétorienne de la réparation du préjudice écologique

Sous l’empire du droit en vigueur, l’environnement n’est pas considéré comme un sujet de droit : il est impossible d’identifier un préjudice personnel permettant sa réparation au titre de la responsabilité civile. Afin de pallier à cette situation non prévue par le droit en vigueur, les juridictions ont d’abord cherché à réparer le préjudice écologique pur en réparant le préjudice moral subi par les associations de protection de l’environnement. Puis, dans l’affaire Erika, la Cour de cassation, confirmant les décisions de la Cour d’appel de Paris et du Tribunal de grande instance de Paris, a consacré de manière prétorienne l’existence d’un préjudice écologique pur « consistant en l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement »[4], ce qui n’était pas sans poser un certain nombre de questions.Le projet de texte relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, en cours de discussion, vise donc à consacrer et préciser dans le Code civil cette création prétorienne.

 2 / Une notion de « préjudice écologique » imprécise

Le projet de loi dite « Biodiversité » prévoit d’introduire un nouvel article 1386-19 dans  le Code civildisposantque « toute personne qui cause un préjudice écologique est tenue de le réparer »[5]. L’article suivant précise que seul le préjudice écologique résultant « d’une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » sera réparé.

De nombreux acteurs (industriels, agriculteurs, juristes, politiques….) s’interrogent, dès à présent, sur les contours de cette notion, qui dans l’état actuel de la rédaction conduira indubitablement à des divergences d’interprétation, ce qui est préjudiciable à la sécurité juridique des opérateurs et à l’efficacité du dispositif.

Afin d’éviter de telles divergences d’interprétation, il pourrait être opportun de retenir la même définition du préjudice écologique que celle existant déjà en droit français. En effet, l’article L.160-1 du Code de l’environnement, issu de la transposition de la directive n°2004/35/CE du 21 avril 2004 relative à la responsabilité environnementale, instaure en application du principe pollueur payeur une obligation de réparation du dommage environnemental causé dans le cadre d’une activité professionnelle. Ce régime de police administrative (mis en œuvre par le Préfet)qui a un champ d’application moindre que celui prochainement introduit dans le Code civil,contient une définition précise des dommages à l’environnement qui doivent être réparés et les modalités de cette réparation (article L.161-1 du Code de l’environnement). Ce texte précise les caractéristiques du dommage environnemental qui doit être « grave », la gravité s’appréciant différemment selon qu’il s’agit de contamination des sols,d’atteinte à la qualité de l’eau ou d’atteinte portée à l’état de conservation des espèces et des habitats naturels. Dès lors, il pourrait être opportun que les dispositions du Code civil utilisent une définition commune, et ce d’autant plus qu’il est prévu d’articuler ce nouveau régime avec le régime de l’article L.160-1 du code de l’environnement.

3 / Une articulation avec les autres procédures à affiner

Ce projet de texte prend acte du fait que le droit français est pourvu de mécanismes permettant de réparer un préjudice environnemental et par conséquent envisage la question de l’articulation entre ces procédures. Le projet de texte précise donc que l’évaluation du préjudice tiendra compte des mesures de réparation déjà ordonnées et notamment celles mises en œuvre dans le cadre des articles L.160-1 du Code de l’environnement ci-dessus mentionnées.

Il est également prévu que le juge judiciaire devra surseoir à statuer si une procédure administrative ayant pour objet une action en réparation du préjudice écologique est pendante ou qu’elle est engagée après l’introduction de l’action judiciaire en réparation.

Toutefois, les modalités de cette articulation entre les régimes pourraient être encore précisées.

4 / La multiplicité des acteurs du dispositif

Le projet de loi précise que l’initiative de l’action en réparation appartiendra à une multitude d’acteurs : l’Etat, le ministère public, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi qu’à toute personne ayant qualité et intérêt à agir. Toutefois, multiplier les acteurs n’est pas un gage d’efficacité du régime et ne garantit pas une réparation du préjudice.

Par ailleurs, le projet de loi ne précise pas le mécanisme d’évaluation du préjudice et de ses modalités de réparation : appartiendra-t-il au demandeur d’évaluer le préjudice, aura-t-il recours à l’expertise judiciaire pour ce faire, cette action pourra-t-elle être portée devant toutes les juridictions ou seulement devant des juridictions spécialisées ?

Sur ces questions, le système américain prévoit un dispositif intéressant. Dans le “Oil Pollution Act”,seuls les trustees, qui pourraient être comparés à nos autorités administratives indépendantes,peuvent intervenir[6]. Les trustees déterminent au cours d’une procédure dite « Natural Resource Damage Assessment » les mesures de compensation et de réparations des dommages environnementaux causés par une marée noire.Avec l’appui d’experts et d’acteurs locaux, les trustees cherchent d’abord à identifier si une atteinte à l’environnement peut être caractérisée ainsi que son ampleur (phase depré-évaluation). Ensuite,ils définissent au sein d’un plan de restauration les mesures de compensation à mettre en œuvre pour réparer les dommages environnementaux causés (phase de planification et restauration). Enfin, les trustees collaborent avec le public et les responsables de la pollution pour mettre en œuvre et contrôler les mesures decompensation entreprises (phase de mise en œuvre du plan de restauration)[7]. Ce système, bien que perfectible de l’avis même des praticiens américains, permet cependant de s’assurer que la détermination du préjudice écologique et de ses modalités de réparation sont confiées à des entités compétentes en la matière.

Le projet de texte actuel est silencieux sur ces thématiques. Or, la spécificité du dommage environnemental justifierait à elle seule que le législateur s’assure que les acteurs responsables de sa détermination et des modalités de réparation soient définis en fonction de leur compétence. On pourrait ainsi suggérer que la future Agence de la Biodiversité soit l’autorité de référence du dispositif.

5 / La réparation du préjudice écologique : objectif essentiel du texte

Le projet de texte précise que le mécanisme de la réparation doit s’effectuer en priorité en nature. Mais il est également prévu qu’ « en cas d’impossibilité de droit ou de fait ou d’insuffisance des mesures de réparation », le juge pourra condamner le responsable d’une pollution au versement de dommages et intérêts à des fins de réparation et de protection de l’environnement. Si ce dernier n’est pas en mesure d’affecter les sommes dues à des fins environnementales, il doit les affecter à l’Etat ou à toute personne désignée par le juge[8].

Ce recours au mécanisme de l’allocation de dommages et intérêt est critiquable. D’une part, il est contraire à l’objectif du texte dans la mesure où ces sommes ne permettront pas de réparer le préjudice écologique. D’autre part, cette possibilité d’allouer des dommages et intérêts à une personne désignée par le juge risque d’entrainer une confusion entre les demandes de réparation : celle visant à réparer le dommage à l’environnement et celle visant à réparer un préjudice personnel des victimes, qui n’est pas l’objet de ces nouvelles dispositions. Il pourrait être opportun de ne pas conserver cette possibilité d’allouer des dommages et intérêts et de retenir une fois encore un mécanisme de réparation se concentrant exclusivement sur la réparation en nature du préjudice écologique.

Désirée par certains, redoutée par d’autres, l’inscription dans le Code civil d’un dispositif de réparation du préjudice écologique apparaît à plusieurs égards comme une révolution juridique. Cependant, la réparation d’un préjudice de cette nature est très complexe à opérer et il est souhaitable que ce texte fasse l’objet de plusieurs modifications lors de la seconde lecture au Sénat prévue en mai prochain afin de préciser les zones d’ombre qui demeurent.

 

 

[1] K. McGILL, “US judge Oks ¤20 B settlement from 2010 BP oil spill”, Washington top’s news, 4 avril 2016

[2]« BP’s Deepwater Horizon Settlement Caps USD 20 Billion », WorldMaritimeNews, 6octobre 2015.

[3] Projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 17 mars 2016

[4]Cass. Crim., 25 septembre 2012, n°10-82.938.

[5] Projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 17 mars2016, art. 2 bis.

[6]33 US Code Ch. 40 Sect. 2706 b. et c.

[7]Sur cette procédure, v. S. PIOCH et alii, « Far away, so close : les enjeux de la marée noire Deepwater Horizon vus depuis la France », EDP Sciences, 210/3, vol. 18, pp. 305-308 ;http://www.gulfspillrestoration.noaa.gov/assessment/

[8]C. civ., art. 1386-20.

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À propos de l'auteur

Carine Le Roy-Gleizes et Marion Gall

Carine Le Roy-Gleizes et Marion Gall sont avocates au sein du département environnement du Cabinet Foley Hoag à Paris