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Résumé:A côté des sources traditionnelles du droit (lois, décrets,..) se développent d’autres instruments ayant en commun...
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A côté des sources traditionnelles du droit (lois, décrets,..) se développent d’autres instruments ayant en commun de ne pas obliger leurs destinataires mais de contribuer à orienter les comportements. Difficiles à cerner et à systématiser, ces instruments se présentent sous des appellations variées : recommandations, normes techniques, référentiels de bonnes pratiques, contrats-types, chartes, codes de bonne conduite ou encore lignes directrices. C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat vient de rendre public les conclusions de son étude annuelle consacrée, pour l’année 2013, au « Droit souple » 1http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/etude_annuelle_2013_le_droit_souple-kuy.html. Souvent qualifié de façon péjorative de « droit mou » et considéré comme dépourvu de force normative, le choix de ce thème par le Conseil d’Etat peut surprendre à première vue. Mais selon l’institution, loin d’être synonyme d’affaiblissement du rôle de l’Etat, le droit souple peut, au contraire, contribuer à renouveler le rôle des pouvoirs publics en élargissant la gamme de leurs moyens d’action.

Définir le « droit souple » pour en comprendre les enjeux

Apparu dès les années 1930 dans le domaine des relations internationales le concept de « soft law » ne cesse aujourd’hui de se développer. S’il est né dans le champ du droit international en raison des difficultés qu’y rencontre la mise en place d’un « droit dur », c’est au sein de l’Union Européenne qu’il devient pour la première fois un véritable choix de politique juridique en ce qu’il permet de faciliter le fonctionnement des institutions. En France, il se retrouve aujourd’hui de manière discrète, notamment au sein des Autorités administratives indépendantes, sous forme de recommandations ou de lignes directrices. Ce droit souple est également souvent privilégié dans la vie des entreprises pour des motifs économiques, juridiques, ou idéologiques.
Il peut être défini comme un droit n’emportant pas d’obligation par lui même. Afin d’être qualifié ainsi, l’instrument juridique doit répondre à 3 conditions cumulatives : il doit avoir pour objet de modifier ou d’orienter les comportements des ses destinataires (1), sans pour autant créer, par lui même, d’obligations pour ces derniers (2). Enfin, il doit représenter, par son contenu et son mode d’élaboration, un degré de formalisation qui l’apparente à une règle de droit(3). Si selon le Conseil d’Etat c’est à l’aune de ces critères que le dispositif peut être qualifié de « droit souple », l’institution ne manque pas de préciser que celui ci est impliqué avec le droit dur, bien plus qu’il ne lui est opposé, en témoigne son appréhension croissante par le juge au travers la jurisprudence ou sa prise en compte dans son raisonnement juridique. Ainsi, les décisions Formindep (27 avril 2011) et Casino Ghichard-Perrachon (11 octobre 2012) ont elles consacré la valeur juridique d’instruments issus du droit souple à la vue de leur formulation obligatoire à l’égard des destinataires. A ce jour, le juge ne peut donc plus ignorer cette forme de régulation. Mais ce phénomène n’est pas sans soulever de nombreuses critiques au sein même de la doctrine : le développement du droit souple dégraderait les qualités attendues du droit telles que la clarté ou la sécurité juridique, pire, il contournerait les institutions démocratiques.
De l’utilité du droit souple.

Les auteurs du rapport relèvent 4 grandes fonctions manifestant l’opportunité du recours au droit souple par les pouvoirs publics :
(1) En tant que substitut au droit dur, lorsque celui-ci n’est pas envisageable, notamment en raison des caractéristiques de la société internationale, lorsque les Etats ne souhaitent pas s’engager de façon contraignante. A titre d’exemples, le rapport cite les engagements en matière environnementale (code pour la conservation de la nature…), ou de droit du travail (accord de l’OIT)
(2) Afin d’appréhender les phénomènes émergents résultant d’évolutions technologiques (régulation d’internet, big-data…) ou de mutations sociétales (encadrements des nouvelles formes de rassemblements….). Il est plus adapté que le droit dur pour des phénomènes encore non cernés, tout en préparant le recours à ce dernier.
(3) Dans le but d’accompagner la mise en œuvre du droit dur, comme dans le cas de démarches de conformité dans les entreprises.
(4) Comme alternative durable au droit dur, principalement dans le domaine économique où les règles définies par les acteurs concernés eux même sont souvent plus efficaces que celles imposées par les pouvoirs publics, fréquemment contournées.

Les conditions de l’efficacité du droit souple et les risques quant à son manque de légitimité et de sécurité juridique.

La première préconisation du Conseil d’Etat pour garantir la légitimité du droit souple est de veiller à ce que ses auteurs ne sortent pas de leur domaine de compétence. Les conditions dans lesquelles sont élaborées les normes sont également cruciales. Le rapport pointe du doigt le code AFEP-MEDEF qui, jusqu’en 2013, était élaboré par les seules entreprises, sans que les parties prenantes (syndicats, investisseurs, pouvoirs publics) ne soient inclus dans les négociations. Sa légitimité et par conséquent son acceptation en était ainsi fragilisées. Les garanties de transparence et d’implication des parties prenantes doivent être respectées. Les frontières entre droit souple et droit dur doivent être clairement définies. Il ne doit exister aucune ambiguïté entre dispositions impératives et celles à simple valeur de recommandation. Un autre facteur peut entamer la légitimité du droit souple : son coût pour les acteurs, tant humain (temps consacré à son élaboration) que financier (accès, mise en œuvre, et certification des normes).
Le droit souple peut permettre aux pouvoirs publics de sortir de la dualité réglementation stricte / inaction, Par ailleurs, face à la multiplication de normes réglementaires et législatives souvent trop compliquées et parfois contradictoires, le recours au droit souple présente l’avantage d’être flexible et adaptable au cours du temps et selon les situations, et par conséquent constitue un moyen de lutte contre l’inflation normative. Les pouvoirs publics pourraient se concentrer sur la définition des règles essentielles à respecter en précisant les voies possibles pour s’y conforter, laissant aux destinataires la faculté de les mettre en œuvre par d’autres moyens. Plus généralement, le rôle des pouvoirs publics serait celui de « veilleur » à l’égard de la mise en place du droit souple par les acteurs privés. A cette fin, le Conseil d’Etat prône l’élaboration d’une « charte de l’autorégulation et de la co-régulation du droit souple » où seraient inscrites les exigences en matière de transparence et d’implication des parties prenantes dans son élaboration. Des propositions en ce sens sont formulées dans trois domaines que sont les démarches RSE, le code de gouvernement d’entreprise des sociétés côtés et l’élaboration des normes techniques.

Le droit souple comme instrument de soft power.

Le Conseil d’Etat ne manque pas de souligner que l’influence de la production de normes internationales de droit souple doit être une priorité de la politique extérieure de la France. « Deux types d’enjeux apparaissent comme particulièrement cruciaux : l’adoption de standards techniques internationaux correspondant aux procédés de production développés dans un pays est un avantage compétitif important ; la promotion d’exigences sociales et environnementales de haut niveau dans les échanges internationaux se joue largement aujourd’hui à travers la production d’instruments de droit souple. ».Parmi les domaines prioritaires sélectionnés figurent par exemple la définition de principes nouveaux en matière de fiscalité des entreprises multinationales, ou encore la participation à la définition de principes directeurs et de contrats types en matière de projets d’investissements sécurisés ou de produits financiers dérivés. Par ces propositions, le Conseil d’Etat affirme que l’influence française en matière de droit souple peut être un outil du « soft power » français.

 

Réferences

http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/etude_annuelle_2013_le_droit_souple-kuy.html
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À propos de l'auteur

Elodie Poncet

De formation initiale en économie et droit, Elodie Poncet participe au programme Conventions depuis 2012, en tant que secrétaire éditoriale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions relatives au numérique, à la monnaie, et au domaine bancaire.