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La lutte contre la corruption devient un enjeu majeur, relayé par les plus grandes institutions internationales comme l’ONU ou l’OCDE. Cependant, malgré la multiplication des mesures prises pour endiguer ce phénomène, celui-ci ne cesse de croître. Pour expliquer ce paradoxe, il importe de se pencher sur les origines de cette lutte, où la Banque mondiale et la Nouvelle Economie Institutionnelle furent déterminants. Il s’agit ensuite de savoir si la doctrine de la transparence ne secrète pas des effets pervers au vu de l’appréhension erronée de la corruption qu’elle implique.

Renaud Beauchard est chargé de mission de l’IHEJ, avocat, consultant indépendant.

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Le thème de la corruption a fait l’objet en très peu de temps d’un passage d’une certaine indifférence à une véritable omniprésence dans le débat commun comme l’illustre la multiplication d’articles de presse, d’émissions de télévision et de radio, de blogs expliquant tout et n’importe quoi par la corruption, de la crise en Ukraine au Printemps arabe, en passant par la faillite de la ville de Detroit.

Et l’opprobre associé à la corruption tend à s’intensifier. Par exemple, le 27 novembre 2013, à la conférence des États parties à la convention des Nations unies contre la corruption, les membres de GOPAC (acronyme anglais de l’Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption) ont adopté à l’unanimité une déclaration visant à considérer la grande corruption – soit les formes de corruption opérant aux plus hauts niveaux de l’Etat et de l’administration – comme crime contre l’humanité devant être poursuivi par les plus hautes instances nationales et internationales. De même, on observe depuis quelques années un durcissement des activistes sur l’exception des paiements de facilitations prévue notamment par le FCPA et tolérée par le texte de la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales 1Les paiements dits de facilitation sont des paiements de faible montant dont l’objet n’est pas d’influencer la décision d’un fonctionnaire, mais d’accélérer une procédure non discrétionnaire. L’exception est prévue expressément par le FCPA et la convention de l’OCDE ne contient aucune disposition appelant à la criminalisation de ces paiements. En revanche, l’OCDE recommande maintenant aux Etats signataires d’opter pour la pénalisation des paiements de facilitation. Un des dilemmes qui se pose par exemple est de savoir si un paiement de $50 au commandant du port pour faciliter l’entrée au port d’un navire, afin d’éviter un délai de deux jours d’attente en rade pouvant occasionner des dommages chiffrables en centaines de milliers, voire en millions de dollars pour les parties prenantes à l’opération de transport, est un paiement licite ou illicite. .

Mais dans le même temps, à mesure que le discours sur la corruption devient plus omniprésent et plus dur, on voit poindre une forme de désenchantement illustré par le compte rendu dans le Financial Times sur la conférence qui s’est tenue début février à la Chatham House à Londres rassemblant les principaux acteurs de ce qu’il est convenu d’appeler la coalition mondiale contre la corruption 2Citizens Are Leading the War on Corruption, Financial Times 6/02/2014..

En effet, selon l’article, le ton général de la conférence à la Chatham House était « déprimant ». Ainsi, malgré la multiplication d’instruments juridiques réprimant la corruption, seulement quatre pays, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Suisse, appliqueraient activement leurs textes en matière de lutte contre la corruption. En outre, celle-ci gagnerait du terrain, mais sous de nouvelles formes. Paraphrasant les propos d’un des participants rapportés par l’article, « le gène de la corruption serait en mutation ». Il ne serait plus possible de se rendre dans une banque au Royaume-Uni avec une valise remplie de billets provenant des subsides de la corruption et d’y ouvrir un compte, mais de nouvelles formes de corruption, de nouveaux réseaux de criminalité viendraient complexifier la compréhension de la corruption à l’image des organisateurs de la traite des humains, comme en leur temps les trafiquants d’héroïne.

Pour ajouter à cette impression de paradoxe devant l’omniprésence du discours et l’impression que la corruption gagne du terrain, on ne sait plus trop quoi penser du flot incessant de nouvelles devenues quotidiennes sur les multiples scandales de corruption ou de délinquance financière frappant de grandes enseignes de la finance et les accords transactionnels signés entre celles-ci et les autorités américaines.

Par exemple, au cours de l’année 2013, JP Morgan Chase a dû s’acquitter de 23,7 milliards de dollars d’amendes et de factures d’avocats au titre d’actes de fraude et de délinquance financière 3La liste des délits sanctionnés est longue : manipulation du marché des dérivés de crédit dans l’affaire du London Whale, pratiques trompeuses vis-à-vis de consommateurs concernant la vente de services non rendus, manipulations alléguées des marchés de l’électricité en Californie et dans le Midwest, organisation de vente aux enchères publiques d’immeubles à usage d’habitation en fraude des droits des propriétaires, fausses déclarations à la SEC sur le taux de défaut des prêts hypothécaires ayant servi de collatéraux dans des CDO (Collateralized Debt Obligation), entente litigieuse ayant eu pour effet de manipuler les taux d’intérêts sur les cartes de crédit, abus de confiance, violations de la réglementation américaine sur les programmes de sanctions économiques à l’encontre de Cuba, de l’Iran et du Soudan, manipulation du marché des obligations municipales, surfacturation de clients déployés à l’étranger par les forces armées américaines., dont la plus importante amende de l’histoire, d’un montant de 13 milliards. Pourtant, son PDG, Jamie Dimon, s’est octroyé une augmentation de sa rémunération annuelle de 74 %, correspondant à un bonus de 20 millions de dollars.

Ces paradoxes, je voudrais tenter de les expliciter en remontant aux sources de la naissance du mouvement international de la lutte contre la corruption afin de comprendre les raisons de la montée en puissance du thème, d’en connaître davantage les acteurs et les outils. Au travers de cette archéologie, je serai en particulier amené à traiter de la centralité de la Banque mondiale (BM) et d’une doctrine économique, la Nouvelle Economie institutionnelle (NEI), encore appelée néo-institutionnalisme, dans l’émergence d’un mouvement international de la lutte contre la corruption.

Je m’interrogerai ensuite afin de savoir si l’émergence d’une coalition internationale de lutte contre la corruption signe véritablement une meilleure compréhension des phénomènes dénoncés sous le nom de corruption, de son étiologie, ou au contraire consacre-t-elle, sous le sceau d’une croyance illimitée dans les vertus de la transparence, un appauvrissement de la compréhension des phénomènes d’interaction des sphères économique et politique, voire même de ce qui conduit le corps social à sécréter des institutions lui permettant de construire son propre destin.

I. La centralité de la Banque mondiale et de la NEI

A. Porter le débat sur la corruption « hors les murs »

Pour illustrer la centralité de l’institution de la Banque mondiale, repartons d’un des événements fondateurs du mouvement international de la lutte contre la corruption tel que nous le connaissons, à savoir la création de Transparency International (IT) en 1993.

Le livre Waging War on Corruption, écrit par un des co-fondateurs de TI, Frank Vogl, est à cet égard particulièrement éclairant 4Frank Vogl, Waging War on Corruption, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2012..

Dans cet ouvrage remarquable par la masse d’informations qu’il contient, Vogl présente ce qu’il nomme une guerre contre l’abus de pouvoir et l’entrée du monde dans une nouvelle ère de la transparence. Il met en lumière les étapes de la création du mouvement international de lutte contre la corruption, expliquant que ce mouvement se place d’emblée sous le sceau de la montée en puissance d’une société civile mondialisée mise en capacité par les nouvelles technologies de la communication et de l’information.

Vogl, à l’origine correspondant international du Times ayant ensuite occupé la fonction de vice-président (en charge de la communication institutionnelle) au sein du groupe Banque mondiale, relate la création de Transparency International, créée en 1993 à l’instigation de Peter Eigen, juriste allemand, qui était alors directeur du bureau de la BM au Kenya. Il en ressort que la création de TI est la conséquence du constat d’Eigen de l’impossibilité de porter avec force le message au sein de la Banque mondiale que la corruption en Afrique entretenait un lien de causalité avec l’ineffectivité de l’aide au développement prodiguée sur le continent et impactait négativement le développement économique, et partant la mission de la Banque mondiale, qui est de réduire la pauvreté. Encouragé par son épouse et Joe Githsongo, ancien comptable kenyan devenu journaliste, Eigen avait décidé de porter le débat sur le lien entre la corruption et le développement en dehors de l’enceinte de la BM.

Donc, à l’origine, Transparency procède de l’idée d’une externalisation d’un débat interne à la Banque mondiale, véritable centre de gravité de la politique en matière de développement international. Et d’ailleurs, un des parrains décisifs de Transparency International au moment de sa création n’était autre que Robert McNamara, ancien secrétaire de la Défense sous Lyndon B. Johnson et surtout directeur de la BM entre 1968 et 1981, auquel revient la paternité des plans d’ajustement structurels 5Les plans d’ajustement structurels sont le fruit d’un brainstorming entre McNamara et son adjoint, Ernest Stern, au cours du voyage retour d’une rencontre annuelle FMI / BM à Belgrade en 1979. L’idée était simple : il s’agissait d’octroyer des prêts d’ajustement structurels destinés à financer des importations dont l’obtention était conditionnée à des réformes structurelles dans le sens de l’économie de marché.. C’est aussi sous la présidence de McNamara que le personnel de la Banque mondiale s’est considérablement transformé, les ingénieurs cédant la place aux économistes.
L’opération a du reste réussi à merveille. En effet, en 1996, qui marque l’ancrage de la lutte de la corruption parmi les priorités de la Banque mondiale, le président fraîchement nommé de la Banque mondiale, James Wolfensohn, parvient à convaincre son conseil d’administration de placer la lutte contre la corruption au centre des préoccupations de l’institution grâce à un plaidoyer d’une équipe de TI, composée d’Eigen, Vogl, Fritz Heimann, Jeremy Pope et Luis Ocampo.

D’autre part, l’année suivante, en 1997, une déclaration du G7 adoptait une série de recommandations concernant la corruption :
– que les banques multilatérales de développement adoptent des règles de passation de marchés publics uniformes sur le modèle de la BM ;
– que le FMI et les banques multilatérales de développement renforcent dans leur propre zone de responsabilité leurs activités pour lutter contre la corruption ;
– que les pays de l’OCDE s’accordent pour trouver un accord permettant la criminalisation de la corruption et mettre un terme à la déductibilité fiscale des paiements corrompus, accord qui deviendra la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptée le 21 novembre 1997.

La mayonnaise institutionnelle ayant pris, rien ne peut alors arrêter « le train de l’anti-corruption » pour paraphraser Vogl, qui se constitue au moyen d’une multitude d’organisations spécialisées dans la lutte contre la corruption, la dénonciation du blanchiment d’argent sale, celle des paradis fiscaux. Parmi ces organisations, on peut citer pêle-mêle, outre les 90 chapitres locaux de TI, le Partnership for Transparency Fund, Global Integrity, Global Witness, Trace International, le Revenue Watch Institute (Soros), Propublica, le Anti-Corruption Research Network (ACRN), initiative émanant de TI, Sherpa ou encore Government Watch pour n’en citer que quelques-unes. On retrouve d’ailleurs de nombreuses passerelles entre les organisations, sous la forme de participations croisées des uns aux conseils d’administration des autres. Ou encore l’apparition de nouvelles organisations créées avec, au sein de leur conseil d’administration des personnalités ne pouvant plus siéger au conseil d’administration de TI en raison de la limitation du nombre d’années, comme le Partnership for Transparency Funds (PTF), dont une bonne partie des membres du conseil d’administration sont d’anciens membres de celui de TI, parmi lesquels Vogl et Eigen. Parmi les passerelles apparaît en outre assez souvent la présence de financements communs, à commencer par l’Open Society de George Soros, mais aussi les incontournables fondations Gates, MacArthur, Hewlett, Ford entre autres.
De plus, d’autres organisations de la société civile ont intégré la lutte contre la corruption au cœur de leurs stratégies et de leurs actions, à l’image de Human Rights Watch ou International Crisis Group, dont la création est contemporaine de celle de TI.
S’ensuit également une multiplication des indices, tels que l’Index de la perception de la corruption de TI, de classements et rapports traitant de la corruption, à l’image des Worldwide Governance Indicators de la BM, du Rule of Law Index du World Justice Forum (ABA), du classement Mo Ibrahim de la gouvernance africaine, des rapports Global Integrity (ceux-ci ayant abandonné le classement).
Mais ce mouvement parti de la Banque mondiale en l’espace de quelques années n’aurait pu avoir lieu sans un changement de paradigme sur le plan de la théorie économique que représente la montée en puissance, au cours des années 1970 et 1980, de la Nouvelle Economie institutionnelle (NEI).

B. L’importance centrale de la NEI

Remontant au début des années 1980, il existait alors une littérature sur ce que recouvre aujourd’hui le vocable de corruption, mais, à l’image des travaux sur le néo-patrimonialisme d’auteurs comme Jean-François Bayart ou Jean-François Médard en France, ou de ceux de Peter Euben aux Etats-Unis, la corruption était analysée plutôt avec les outils conceptuels de la science politique. Dans le débat académique américain subsistait même une partie du courant de pensée dit fonctionnaliste, dominant dans les années 1960, avec des auteurs comme Nathaniel Leff, qui postulait que la corruption était au fond un mal nécessaire, en ce sens qu’en laissant les élites construire un consensus, de s’assurer de la coopération du parlement et de la fonction publique, elle permettait de juguler la violence inévitablement associée aux changements entraînés par le processus de développement. Ceci est du reste consigné dans un des tous premiers rapports de la Banque mondiale daté de 1983 établissant une corrélation entre les performances de développement et l’intensité de la corruption dans les administrations publiques 6David J. D. Gould, Jose A. Amaro-Reyes, The Effects of Corruption on Administrative Performance : Illustrations from Development Countries, staff working paper, no SWP 580. Management and development series, no 8, Washington, D.C., The World Bank, 1983. http://documents.worldbank.org/curated/en/1983/10/700881/effects-corruption-administrative-performance-illustrations-development-countries..

Mais la décennie 1980 signe l’annexion du thème de la corruption par les économistes, emmenés par les penseurs de la NEI, dont l’objet est d’analyser et d’identifier la structure des institutions sociales permettant de fonder la croissance économique à long terme.

Un des éléments essentiels pour comprendre le succès de la NEI consiste en ce qu’elle abandonne la rationalité instrumentale de l’économie classique, qui pose comme prémices l’existence du libre marché et de la concurrence parfaite par le recours à la fiction de l’Homo economicus, sorte d’individu plus ou moins omniscient, avec des capacités cognitives plus ou moins limitées, dont la conduite serait guidée par une appréciation rationnelle de la maximisation de ses intérêts. En abandonnant la référence à l’Homo economicus, la NEI déplace l’attention de la formation des prix, de la production et de la distribution des revenus, vers les institutions – les bonnes institutions –, les règles du jeu permettant la mise en place de politiques d’investissement assurant la croissance à long terme.

Or, la NEI fait de la recherche de rente le cœur de son projet. Les bonnes institutions canaliseraient la recherche de rente dans le sens de la destruction créatrice, le moteur du capitalisme postulant le renouvellement constant de l’association entre l’innovation et le capital, alors que les mauvaises institutions favoriseraient la multiplication de comportements opportunistes centralisant la rente entre les mains du petit nombre.

Dans la lecture néo-institutionnelle, la corruption est donc un crime contre le marché, en ce sens qu’elle favoriserait l’allocation du capital à des investissements non productifs. Ainsi, par exemple, la corruption aurait pour effet le développement d’investissements dans des projets d’infrastructures pharaoniques et de prestige (Jeux olympiques de Sotchi) au détriment du financement de biens publics essentiels au développement : la santé, l’éducation …7L’exemple le plus frappant étant sans doute donné par la Guinée équatoriale, pays peu peuplé (800 000 habitants), dont le PIB par habitant est le plus élevé sur le continent africain pour une des populations parmi les plus pauvres de la planète. La Guinée équatoriale, dont on entend souvent dire qu’elle est une entreprise de famille qui aurait un siège à l’ONU, connaît un véritable boom dans la construction d’infrastructures de prestige : centres de conférences, hôtels de luxe, autoroutes à six voies entre l’aéroport et le palais présidentiel, construction d’une nouvelle capitale au milieu d’une forêt vierge comprenant un palais présidentiel, un nouveau bâtiment pour le parlement, une cathédrale, un hôtel cinq étoiles de 400 chambres.

Mais il faut bien se garder d’y voir un quelconque fondement axiologique. La corruption n’est un objet de préoccupation que parce que, source de personnalisation des rapports économiques, elle est une entrave à l’extension indéfinie de l’association volontaire, autre nom de la destruction créatrice, qui est le grand principe moteur de la mondialisation. C’est donc une approche fondée sur le risque, celui que fait peser la corruption sur la bonne gestion économique, que la NEI consacre, expliquant qu’elle se concentre davantage sur le combat contre la corruption que sur l’étiologie de celle-ci.

Le meilleur exemple de la centralité du thème de la corruption dans les thèses néo-institutionnelles est à trouver dans l’ouvrage de Daron Acemoglu et James Robinson, Why Nations Fail, dont le sous titre devrait être Une histoire politiquement et économiquement correcte du monde moderne 8Daron Acemoglu, James Robinson, Why Nations Fail : The Origins of Power, Prosperity and Poverty, New York, Crown Business, 2012. .

Dans leur livre, Acemoglu et Robinson font la distinction entre institutions extractives et inclusives. Comme leur nom l’indique, les premières sont conçues pour extraire le maximum de revenus et de richesse du travail de la majorité au profit de la minorité. Selon Acemoglu et Robinson, ce type d’institution où l’appareil productif est concentré entre les mains de clans interdisant ou décourageant l’accès des autres à l’initiative, empêcherait la destruction créatrice d’opérer et mènerait immanquablement à des échecs politiques et un déclin économique. Même dans le cas d’une croissance économique dans un système extractif, les fruits de la croissance finiraient par être capturés par des élites opérant de façon collusive, entraînant immanquablement un ralentissement à terme, ce qu’Acemoglu et Robinson n’hésitent pas à prédire dans le cas de la Chine.

À l’inverse, des institutions inclusives permettraient et encourageraient la participation du plus grand nombre, selon leurs talents, aux activités économiques de leur choix. Ces institutions sont bien connues : administrations wéberiennes, protection des droits de propriété, un droit impersonnel appliqué de façon impersonnelle, des prélèvements non confiscatoires, la liberté de mouvement des hommes et des capitaux, un système d’éducation performant et un bon système financier.

Ainsi, plutôt que d’encourager les grands programmes d’infrastructures ou les privatisations, la NEI recommande de mettre en place des environnements bureaucratiques et juridiques assurant aux investisseurs internationaux que leurs investissements ne seront pas spoliés, sous-entendu par la corruption.

Pour garantir l’effectivité de la mise en place d’institutions inclusives, les applications dérivées de la NEI tendent à exprimer la qualité des institutions par des valeurs numériques appliquées à des paramètres comme la perception de la corruption, l’application de la loi, la gestion des finances publiques, l’exécution des promesses, la facilité de créer une entreprise, etc.

Ayant décrit comment la lutte contre la corruption s’est inscrite au cœur des priorités de la Banque mondiale, analysons maintenant comment se traduit en pratique l’opérationnalisation des thèses néo-institutionnelles dans l’agenda de l’anti-corruption au sein de la Banque mondiale.

II. L’opérationnalisation de l’anti-corruption dans les politiques et les programmes de la Banque mondiale

Il existait un obstacle juridique à l’introduction du thème de la corruption dans les politiques et les programmes de la Banque mondiale dans ses statuts, qui cantonne son intervention à des projets spécifiques de reconstruction et de développement, et prévoit que ses représentants ne doivent en aucune façon interférer dans les affaires politiques des Etats membres, ni ne doivent être influencés dans leurs décisions par la nature politique du ou des membres concernés.

L’objection a été levée à la faveur d’une série d’opinions juridiques du département juridique de la BM, et notamment dans une opinion de son directeur juridique d’alors, Ibrahim Shihata, de 1991, dans laquelle celui-ci définissait le concept de gouvernance comme « l’ensemble des questions touchant à la gestion des ressources d’un pays », insistant que l’accent doit être mis « non sur l’exercice des pouvoirs de l’État, mais sur le bon ordre dans la gestion du secteur public et la création d’un environnement favorable pour le secteur privé ». Selon Shihata, la gouvernance implique une attention particulière pour des règles effectivement appliquées et des institutions garantissant leur application, dans la mesure où ces règles et institutions sont nécessaires pour le développement économique d’un pays et en particulier pour la bonne gestion de ses ressources 9Ibrahim F. I. Shihata, Issues of Governance in Borrowing Members, Sec. M91-131, 5 février 1991..

Shihata est revenu plus spécifiquement sur le thème de la corruption dans les termes suivants :
« La Banque mondiale peut difficilement ignorer les questions majeures touchant aux politiques de développement. La corruption est devenue une de ces questions. Sa prévalence dans un pays donné influence considérablement le flux de capitaux publics et privés investis. Les programmes de prêts, et tout particulièrement les ajustements structurels prennent en considération les facteurs agissant sur la taille et la fréquence de ces flux. D’un point de vue juridique, il importe toujours que la Banque intervienne dans le strict respect de ses statuts. À mon avis, la Banque peut engager de nombreuses actions pour lutter contre la corruption. Elle peut mener des recherches sur les causes et les effets globaux de la corruption. Elle peut, d’un commun accord, fournir de l’assistance technique aux États emprunteurs afin de réduire la corruption. Elle peut se saisir du niveau de corruption dans les échanges avec les États membres emprunteurs. Et puis, si le niveau de corruption est tel qu’il met en danger l’effectivité de l’assistance de la Banque mondiale, selon une analyse factuelle et objective, et si le gouvernement ne prend aucune mesure sérieuse pour y remédier, elle peut prendre cette circonstance en considération dans sa stratégie de bailleur envers ce pays. La seule limite juridique étant que la Banque et son personnel ne peuvent s’intéresser qu’aux causes et effets économiques et doivent s’abstenir d’intervenir dans les affaires politiques d’un pays .10Ibrahim F. I. Shihata, « Corruption : A General Review with an Emphasis on the Role of the World Bank », Journal of Financial Crime, vol. 5 Iss, 1997, p. 476, traduction libre par l’auteur. »

Ces opinions sont essentielles puisqu’elles fondent une intervention de la Banque mondiale dans la lutte contre la corruption qui devait devenir une des questions prioritaires à partir des années 1996-1997 et sans discontinuer jusqu’à présent, comme en atteste la mise en place d’une Stratégie pour la promotion de la gouvernance et la lutte contre la corruption, dite Gouvernance et anti-corruption (GAC) en 2007 11Le plan de mise en œuvre de la Stratégie pour la promotion de la gouvernance et la lutte contre la corruption se fonde sur les sept principes fondamentaux énoncés dans cette stratégie, à savoir :
1. L’importance accordée par le Groupe de la Banque mondiale à la gouvernance et à la lutte contre la corruption est liée à sa mission, qui est de réduire la pauvreté – un État capable et responsable crée des opportunités pour les pauvres, il fournit des services de qualité et il améliore les résultats obtenus sur le plan du développement.
2. La responsabilité première d’un pays est d’améliorer la gouvernance – l’adhésion et la volonté politique des gouvernants sont des éléments clés d’une bonne exécution, et le Groupe de la Banque mondiale est déterminé à soutenir les priorités nationales. Les dirigeants des pays demeurent les principaux interlocuteurs du Groupe de la Banque.
3. Le Groupe de la Banque mondiale est déterminé à poursuivre activement la lutte contre la pauvreté et à chercher des moyens créatifs d’aider les pays, même dans ceux qui sont mal gérés – « les pauvres ne doivent pas payer deux fois ».
4. La forme de l’action engagée par le Groupe de la Banque mondiale sur le double front de la gouvernance et de la corruption variera selon les pays, en fonction de la situation particulière de chacun d’entre eux – il n’existe évidemment pas de solution unique, mais le Groupe de la Banque mondiale adoptera une approche cohérente pour ce qui est des décisions opérationnelles au niveau national, approche fondée sur les stratégies d’aide-pays du Groupe, sans toucher au système d’allocation basé sur les résultats pour les pays IDA ou au système d’allocation des ressources de la BIRD.
5. La mobilisation systématique d’un large éventail des parties prenantes représentant le gouvernement, les milieux d’affaires et la société civile est un déterminant fondamental du succès des réformes concernant la gouvernance et la corruption, et des résultats obtenus au plan du développement. C’est pourquoi, conformément à son mandat, le Groupe de la Banque mondiale s’emploiera à utiliser plus largement les bonnes pratiques existantes en mobilisant de nombreuses parties prenantes dans le cadre de ses activités opérationnelles, et notamment en renforçant la transparence, la participation et le suivi de ses propres opérations par une tierce partie.
6. Le Groupe de la Banque mondiale s’efforcera de renforcer les systèmes nationaux, au lieu de les court-circuiter – des institutions nationales de qualité constituent le moyen le plus efficace et le plus durable pour résoudre les problèmes de gouvernance et de corruption et atténuer les risques fiduciaires associés à l’utilisation des deniers publics en général et de ceux de la Banque en particulier.
7. Le Groupe de la Banque mondiale travaillera avec les bailleurs de fonds, les institutions internationales et d’autres acteurs aux niveaux national et international pour promouvoir une approche harmonisée et une coordination basée sur les mandats et avantages comparatifs respectifs des divers intervenants – « le Groupe de la Banque mondiale ne doit pas faire cavalier seul ».

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Dans l’interstice des limites posées par les statuts de la Banque mondiale et leur interprétation par son département juridique s’est donc développée toute une stratégie des institutions financières internationales intégrant la lutte contre la corruption.
Pour bien comprendre cette stratégie, il faut repartir du cœur de l’agenda gouvernance des International Finance Institutions (IFIs), c’est-à-dire de la gouvernance des finances publiques articulée autour des réformes de la gestion des ressources budgétaires, du renforcement des contrôles et des audits et de ce que l’on nomme la demand side governance, c’est-à-dire l’association de la société civile à la mise en place des dispositifs de bonne gouvernance.

La gouvernance des finances publiques donne lieu à une multiplication d’outils diagnostiques, comme les revues des dépenses publiques (Public Expenditure Review, PER), l’évaluation des systèmes de gestion des finances publiques (Country Financial Accountability Assessment, CFAA), les rapports analytiques sur la passation des marchés (Country Procurement Assessment Report, CPAR)… Pour les pays pauvres très endettés (PPTE), les contrôles sont renforcés, notamment au moyen de plans d’action et d’évaluation (Assessments and Actions Plan, AAP). Tous ces outils bénéficient en outre d’une méthodologie d’évaluation codifiée sous le nom de cadre de la mesure de la performance de la gestion des finances publiques (Performance Measurement Framework, PMF), élaborée par une initiative multi-agences, le Public Expenditure and Financial Accountability (PEFA), comprenant la Banque mondiale, le FMI, la Commission européenne, le ministère britannique du Développement international (DFID), les ministère français et norvégiens des Affaires étrangères et le secrétariat d’État suisse à l’Économie.

Sous couvert de gouvernance des finances publiques, les programmes de gouvernance ont donc pour principal objet de construire ou de renforcer les capacités des États dans la gestion budgétaire et la comptabilité publique. Cela se traduit par de l’assistance au renforcement de capacités de surveillance des parlements nationaux et le renforcement ou l’édification d’organes de contrôles tels que les cours des comptes, les inspections des finances, les inspections générales de l’État, et bien sûr les multiples commissions, comités ou hautes autorités de coordination spécialisés dans la lutte contre la fraude et la corruption.
Cependant, et particulièrement s’agissant de la corruption, ces multiples renforcements se sont avérés difficiles pour des raisons diverses. Les instances spécialisées dans la lutte contre la corruption peuvent être plus ou moins indépendantes, mais réduites à l’impuissance, voire instrumentalisées pour purger les résidus d’anciennes administrations 12A l’image de la cellule anti-corruption présidée par John Githsongo au Kenya au moment de la transition entre le régime de John Arap Moi et celui de Mwau Kibaki. Tant que Githsongo enquêtait sur les affaires de corruption du régime de Moi, il a pu opérer en toute indépendance. Cependant, lorsqu’il a commencé à enquêter sur les affaires de la nouvelle administration, Githsongo a dû fuir le pays et se réfugier en Grande-Bretagne.ou les opposants. Ces institutions sont d’autant plus facilement instrumentalisées qu’elles relèvent en général directement du président ou du premier ministre. De plus, souvent peu connues du public, et/ou l’objet de défiance par la population, ces institutions ne publient pas ou peu de rapport, ou ces rapports, remis au président ou au premier ministre, ne sont pas rendus publics.

Devant la difficulté, qui fait l’objet d’un consensus assez large au sein des experts de la lutte contre la corruption, de faire appliquer des politiques de lutte contre la corruption par des administrations corrompues, le discours a évolué dans le sens d’une demand side governance, bien illustrée par la stratégie GAC adoptée en 2007 associant les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.
S’agissant de la corruption, la demand side governance privilégie des approches de name and shame vis-à-vis des pouvoirs publics, illustrées par des programmes comme I Paid a Bribe ou Publish What you Pay 13Publish What you Pay est un réseau mondial d’organisations basé à Londres dont le but est de promouvoir la transparence dans les industries extractives. Fondé à l’origine par Global Witness, CAFOD (le Secours catholique britannique), OXFAM GB, Save the Children UK, TI-UK et l’Open Society de George Soros, Publish What you Pay comprend pas moins de 600 organisations dans le monde. et d’empowerment vis-à-vis de la société civile, par l’encouragement à des organisations formant des représentants de la société civile à l’analyse des finances publiques, le développement humain et la transparence dans la gouvernance. Guidé par une constellation d’ONG internationales et locales emmenées par Transparency International, ce volant essentiel de l’organisation de la lutte contre la corruption permet de multiplier les pressions normatives pesant sur les États et de convoquer le registre symbolique de l’imaginaire de la corruption sans pour autant investir le champ politique 14On citera parmi les principales initiatives d’empowerment le projet ALACS (Advocacy and Legal Advice Centers), qui est l’initiative globale la plus importante de TI. Au moyen de cliniques juridiques physiques, de hot lines et de services en ligne, les ALACS ont pour mission de renseigner les citoyens victimes de la corruption et de les orienter afin d’engager d’éventuelles actions, d’assister les justiciables et les administrés dans la préparation d’actions à engager, de suivre les dossiers, etc. Et aussi la Partnership for Transparency Funds (PTF), qui collecte des fonds auprès d’une série de bailleurs de fonds qu’elle distribue sous forme de subventions de montants assez faibles à des organisations locales pour des projets spécifiques d’anti-corruption. Fondé essentiellement sur la participation de bénévoles, pour la majorité des retraités de la Banque mondiale, le PTF offre de l’expertise senior à des organisations qui n’en auraient pas les moyens et administrent des programmes de montants trop faibles pour les bailleurs de fonds traditionnels. .

En outre, l’immense masse d’informations collectées par les IFIs dans le cadre de leurs interventions sur la gouvernance des finances publiques place la Banque mondiale dans une position privilégiée pour mener ou alimenter de multiples recherches sur les phénomènes connexes à la gouvernance, dont la corruption, sous la forme de profils de gouvernance, d’index, de rapports, etc.15Par exemple, le Worldwide Governance Indicators publié par le World Bank Institute. .
Enfin, pour compléter le tableau, la Banque mondiale a mis en place des procédures visant à faire le ménage en interne et dans ses propres procédures de marchés publics. Ainsi s’est-elle dotée d’un comité d’éthique chargé d’enquêter le cas échéant sur les agissements de personnels de la BM contraires à l’éthique, y compris la corruption, et surtout d’une procédure quasi juridictionnelle de sanctions contre des contractants ayant commis des actes de fraude ou de corruption dans des marchés publics financés par la Banque mondiale. La sanction de tels agissements consiste en une interdiction temporaire ou définitive à participer aux procédures de passation de marchés publics de la Banque mondiale, rendue publique par la publication du nom des contrevenants sur le site de la Banque Mondiale. De plus, celle-ci étant liée avec la presque totalité des autres Banques multilatérales de développement par des accords de réciprocité (cross debarment), cela signifie véritablement une mise au ban de la communauté internationale.

III. L’entrée dans le nouvel âge de la transparence ou la redéfinition de l’éthique suivant des critères purement formels et procéduraux

Pour prendre la mesure de la signification profonde de ce mouvement de lutte contre la corruption, il apparaît donc nécessaire, en plus d’en avoir dégagé l’origine et les réseaux, de resituer l’anti-corruption dans un récit cohérent sur la mondialisation.

Une piste qui doit être écartée dans cette analyse est le retour, au travers du thème de la corruption, d’une forme de tradition civique héritée d’Aristote, de Machiavel ou de Tocqueville dans la réflexion sur les institutions du monde globalisé. Bien que la corruption convoque cet imaginaire, fait d’une recherche d’une vitalité collective maîtrisée, le surgissement du thème de la corruption dans le débat commun reflète une définition de l’éthique en opposition frontale par rapport à la tradition civique.

Une fois encore, le livre de Vogl dans lequel celui-ci expose le programme du nouvel âge de la transparence, qui est, je cite « de créer des rayons de soleil dans les couloirs du pouvoir public et cela agira comme un désinfectant puissant16La citation exacte est : « Create sunshine on the hidden corridors of public power and it will act as a powerful disinfectant. » F. Vogl, op. cit., p. 20. ».

À la phrase suivante, Vogl explique qu’il partage l’opinion de Jeremy Pope, premier directeur exécutif de TI, selon qui « la connaissance est le pouvoir, et ceux qui la possède ont le pouvoir de diriger. Peut-être est-ce la raison de la si grande persistance dans le monde de l’obsession du secret 17« Knowledge is power, and those who possess it have the power to rule. Perhaps that is why an obsession with secrecy persists across the world. » Ibid.».

Une citation en particulier m’a interpellé, attribuée à Jeremy Pope, co-fondateur de TI : « Si notre objectif est une gouvernance transparente, accountable et honnête – un gouvernement en qui nous puissions avoir confiance et un secteur privé digne de confiance –, alors clairement, moins des informations seront soustraites à notre regard, plus nous aurons confiance dans leur exactitude et plus nous aurons de chance d’atteindre notre but. La transparence est devenue un substitut de la confiance. »

Cela fait penser instantanément à la métaphore de la folie dans les méditations de René Descartes lorsqu’il évoque « ces insensés de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile qu’ils […] s’imaginent être des cruches et avoir un corps de verre ».

Ce programme de remplacement de la confiance par la transparence constitue donc une complète refondation de l’éthique au service de la construction d’un univers panoptique.

Selon cette redéfinition, paraphrasant Beatrice Hibou, « être éthique, c’est uniquement être transparent sur les moyens et la méthode ou sur les procédures ».

Et on touche là à une dimension essentielle du rapport de la mondialisation à la règle commune qui a ouvert, comme le dit Marcel Gauchet, un « Far West planétaire 18Marcel Gauchet, « Fracture morale : 65 millions d’exceptions à la règle », Causeur, 2 mai 2013, http://www.causeur.fr/morale-hessel-iacub-marcel-gauchet-22342.html#.». Inversant une tendance depuis la Révolution, où la bataille politique avait pour objet « la création d’espaces d’égale soumission à une même loi », la mondialisation ouvre des espaces de contournement des règles s’appliquant dans les espaces nationaux aux acteurs qui en ont les moyens, ce que Gauchet décrit comme le règne de « l’Empire de la morale d’exception ». Empire qui, selon lui, « a peu à peu pénétré la conscience collective au point de modifier la donne de la vie sociale, à tous les niveaux ».

La façon dont les acteurs de la mondialisation ouvrent des espaces de contournement de la règle est en créant des « dangers protégés », le cas échéant assorti d’un discours de surenchère de manière à susciter l’indignation et une demande de droit auxquelles ils répondent par la création d’institutions sémantiques comme la transparence, lesquelles permettent à leur tour la mise en place de procédures de gestion des risques. Par la mise en place de ces procédures, c’est moins la réduction du mal à la racine que veulent les fabricants de normes, que le développement d’outils normatifs, lesquels ouvrent de nouveaux espaces de contournement qui génèrent eux-mêmes une production normative.

D’où l’impression d’une normativité qui tourne à vide pour le plus grand nombre et fait sens pour quelques-uns.

Prenons quelques exemples pour illustrer ces propos.

La transparence stigmatise les dépenses de lobbying en obligeant à déclarer les montants versés par des entreprises à des lobbies et en imposant aux parlementaires de rendre public un déjeuner avec un lobbyiste, mais en dépit de ces obligations déclaratives, l’industrie du lobbying est en plein essor et les dépenses de lobbying augmentent chaque année de façon inexorable19Francis Fukuyama relève que l’on pouvait recenser 175 agences de lobbying en 1971. Dix ans plus tard, celles-ci étaient au nombre de 2 500. En 2009, elles étaient 13 700 dépensant plus de 3,5 milliards de dollars annuellement. S’agissant de l’Union européenne, voir le site du Corporate Europe Observatory qui documente les activités de la lobbycracy bruxelloise, laquelle représente environ 30 000 personnes et des dépenses annuelles de 3 milliards d’euros .

Les rapports des auditeurs publics, comme la Cour des comptes ou le Congressional Budget Office aux États-Unis, sont rendus publics et chaque année acclamés pour leur indépendance et leur sagesse, mais leurs recommandations n’entraînent que des changements à la marge en terme de dérive des comptes publics qui accumulent, en période de vaches grasses et de vaches maigres, des dettes contractées sur les futures générations.

Les employés des agences de développement américaines, jusqu’au directeur, voyagent en classe économique, mais l’étendue des sommes gaspillées dans l’aide au développement, y compris par la corruption, est inconnue, puisque les contrôles purement formels sur le respect des procédures et les évaluations rémunérées par les évalués empêchent de formuler des jugements autres que fondés sur des violations manifestes et des évidences chiffrées soigneusement choisies pour enregistrer des succès.

Les niches fiscales sont inscrites en toute transparence dans les textes, et fondent, en toute transparence, les stratégies d’optimisation fiscales qui ont rendu le principe d’égalité devant l’impôt une lettre morte, ou tout au moins un principe à trous.

Les réglementations destinées à prévenir les conflits d’intérêts font florès, mais elles connaissent des exceptions de plus en plus nombreuses à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des responsabilités, là où les conflits d’intérêts sont les plus à même de créer des dommages systémiques, au motif de la rareté des talents qui s’y trouverait.

C’est ce même rapport à la règle qui conduit Fukuyama, dans un article récent, à expliquer que la montée en puissance d’un immense appareil de régulation depuis la décennie 1960 aurait eu pour effet de repatrimonialiser les institutions politiques américaines à des degrés comparables à ceux de la Chine sous la dynastie Han, de l’Empire ottoman livré au pouvoir des janissaires à partir de la fin du XVIIIe siècle et de l’absolutisme sous l’Ancien Régime.

Fukuyama explique que la préférence américaine pour un modèle « juricentré » – ou legalistic – et décentralisé au sens d’une application du droit impliquant un grand nombre d’acteurs (l’idée du droit sans l’État) a fait renaître le phénomène de capture des institutions politiques par des intérêts particuliers endigué à la fin du XIXe siècle par l’établissement d’une administration fédérale wéberienne sous l’effet notamment du Pendleton Act de 1883.

Mais à la différence de la corruption directe des législateurs et de la constitution de machines électorales clientélistes, les groupes d’intérêt aujourd’hui ont trouvé des moyens parfaitement légaux de retourner le droit contre lui-même, y compris en instrumentalisant les tribunaux. Comme l’énonce Fukuyama, ces groupes d’intérêt ont capturé tous les leviers permettant de contrôler la politique fiscale et la dépense publique. Ce faisant, ils ont contribué à faire éclater la dette publique américaine par leur capacité à influencer le budget national en leur faveur 20La dette nationale américaine s’élève à 17 300 milliards de dollars. Si l’on y ajoute la dette privée, le total s’élève à plus de 60 000 milliards de dollars. Et le montant de la dette non provisionnée des programmes sociaux comme Medicare s’élève à 128 000 milliards de dollars, soit 20 000 milliards de plus que la totalité des actifs détenus par des Américains.. Analysant la défense invoquée en faveur de l’industrie du lobby, selon laquelle les larges sommes dépensées par les lobbies dans des campagnes publicitaires n’entraîneraient au fond aucune différence en termes de résultats électoraux, Fukuyama répond que, outre la circonstance qu’il est difficilement crédible que ces sommes soient tout simplement gaspillées, l’argument méconnaît la véritable nature des groupes d’intérêt, qui n’est pas de stimuler de nouvelles règles et de nouvelles politiques, mais de contourner la législation existante au moyen d’une capture de l’appareil bureaucratique de régulation, c’est-à-dire loin de tout regard du politique.
L’article de Fukuyama est à rapprocher des thèses de Jeffrey Winters, dans son ouvrage remarquable sur l’oligarchie21Jeffrey Winters, Oligarchy, New York, Cambridge University Press, 2011, p. 254 et suiv. Winters cite en exemple l’augmentation du nombre de pages du Standard Federal Tax Reporter, lequel dénombrait 400 pages en 1913, 40 500 en 1995, 60 044 en 2004 et 71 684 en 2010. Le record dans l’emphase va au Dodd Frank Act de 2010, qui fait intervenir une vingtaine de régulateurs et nécessite la rédaction de 398 instruments de régulation (rulemakings). Trois ans après l’adoption du texte, le 15 juillet 2013, 70 % des textes d’application ont été adoptés, soit 279 instruments, l’ensemble réglementaire construit autour des 848 pages du texte de loi s’élève à 13 789 pages, soit à peu près 15 millions de mots. Voir aussi Renaud Beauchard, « Les juristes ont-ils le dernier mot ? La place du droit dans la pensée néo-institutionnelle », in Obligations, procès et droit savant. Mélanges en hommage à Jean Beauchard, Paris, LGDJ, 2013, p. 419. . Se fondant sur l’histoire des États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, Winters expose que les groupes d’intérêt auraient retourné à leur profit les moyens offerts par la démocratie libérale (constitutionnalisme, démocratie représentative, liberté d’expression, lobbying, liberté contractuelle, libre-échange, etc.) pour faire évoluer les institutions du pays vers ce qu’il nomme une oligarchie civile, reflétant les cas où les oligarques règlent leurs conflits au moyen d’un droit impersonnel. À cette fin, les oligarques auraient mis en place ce que Winters nomme une income defense industry correspondant à l’industrie du conseil (cabinets d’avocats, professions comptables et d’audit, lobbyistes, etc.) et instrumentalisé le droit, fiscal notamment, en le complexifiant démesurément de façon à le rendre incertain, à en augmenter démesurément le coût d’application pour les pouvoirs publics, et partant à le rendre personnalisable et manipulable à condition d’en posséder les moyens.

Or, la mise en réseau de l’économie mondiale qu’organise la mondialisation place en son codeur les agents de l’oligarchie identifiés par Winters, lesquels diffusent « une science administrative normative, une nouvelle organisation de la bureaucratie décrédibilisant les ministères et les fonctionnaires et mettant à l’honneur des agences, des logiques de rentabilité » et tout un processus de brouillage entre la sphère publique et privée, entre le local et l’international.

L’anti-corruption, comme le montrent de manière particulièrement convaincante les travaux de Béatrice Hibou et d’Olivier Vallée sur ce que ce dernier nomme « la police morale de l’anti-corruption », participe de la diffusion de cette science administrative normative. En effet, ses réseaux, constitués de comités, d’experts, d’ONG et de bureaux de consultants privés interagissent et souvent se chevauchent avec ceux organisant la mise en réseau de l’économie mondiale.

Ce sont les mêmes cabinets de consultants et d’avocats qui vont mettre en place la politique d’optimisation fiscale et les procédures de compliance au sein d’un grand groupe américain ou européen et remporter, souvent en consortium avec une ONG ou un bureau d’études spécialisés dans l’anti-corruption, le marché de modernisation du climat des affaires en République démocratique du Congo ou en Angola. C’est le même cabinet, Richard Attias et associés, qui organise, avec les mêmes participants et autour des mêmes thèmes, les rencontres du World Economic Forum à Davos et le New York Africa Forum qui se tient annuellement à Libreville, pays dont le président actuel aurait siphonné 25 % du PIB national en l’espace de trois ans22Le New York Africa Forum se présente comme « un forum panafricain de premier plan, réunissant toutes les générations de décideurs et d’experts afin de collaborer à l’émergence d’une Afrique gagnante, innovante, prospère, autonome, stable, qui jouerait un rôle de premier plan dans le nouvel ordre économique mondial ». Et on peut lire un peu plus loin : « Le Gabon émergent, pays hôte, est un lieu de rassemblement pertinent étant donné l’ambition de ses plans nationaux, de son approche novatrice en matière de développement durable et de son engagement pour la création d’infrastructures de niveau mondial » [sic]. Ont pris part aux deux premières éditions du New York Africa Forum, rassemblant 1 500 participants au total, Fatou Bensouda, le procureur général de la CPI, Hubert Védrine, Jacques Attali, Christine Ockrent, Cherie Blair, Nouriel Roubini, Mathieu Pigasse, Larry Summers, Andrew Young, Chanta Devarajan, l’économiste en chef de la BM, Anne Lauvergeon, Mohammed Yunus… Et à peine un mois après l’édition de 2013, c’était au tour de Denis Sassou N’Guesso d’accueillir à Brazzaville le forum Forbes, entouré des mêmes Ockrent, Pigasse et Andrew Young, avec en plus Guy Verhofstadt, Koffi Annan et Jean-François Copé, rémunéré 30 000 euros pour 20 minutes d’interview lénifiante. . C’est la même agence qui s’est occupé des relations publiques de la Guinée équatoriale d’Obiang et celles de l’opérateur de téléphonie mobile américain Sprint, du magazine GQ, du cirque Ringling Bros. Barnum and Bailey et des royaumes d’Arabie Saoudite et du Qatar 23Il s’agit de Qorvis, qui vient d’être acquis par Publicis et s’occupe par ailleurs des relations publiques des royaumes de Bahrein et d’Arabie Saoudite. En outre, Obiang et Gbagbo ont tous deux utilisé les services de Lanny Davis, ancien conseiller « spécial » de Clinton et porte-parole de la maison blanche sous Clinton sur les questions de financement de campagnes et autres questions « sensibles »..

En outre, c’est cette éthique redéfinie autour de critères purement formels que l’agenda gouvernance et anti-corruption tend à exporter dans les pays en développement au moyen de pressions internationales, sous la forme des modèles institutionnels identifiés par la NEI, et dont se sont saisies la quasi-totalité des organisations internationales et des agences de développement bilatérales.

Or, loin d’éliminer les tendances patrimoniales indigènes, ces infrastructures institutionnelles formelles finissent par s’hybrider avec les réseaux informels qui leur préexistent et contribuent à en renforcer les acteurs.

Pour une étude en profondeur de ces processus d’hybridation, je renvoie à la brillante étude des cas nigérians et camerounais d’Olivier Vallée qui montre comment le discours moral technocratique de la « police morale de l’anti-corruption » s’est retrouvé pris dans le puzzle africain, comment la dévalorisation morale et symbolique de la puissance publique qu’il induit a entraîné « une symbolique de la capture des flux par les puissants et les rusés », ceux-ci étant assimilés au sorcier qui fait « advenir l’endettement infini » et dont la « force invisible et nocive s’accumule avec l’argent et le pouvoir associés, les déliant de toute dette vis-à-vis de la société 24Olivier Vallée, La Police morale de l’anti-corruption, Paris, Karthala, 2010, p. 214-215.».

Et, selon l’Empire de la morale d’exception, on voit aussi se dégager des pratiques visant à soustraire des éléments essentiels de la vie publique au principe de transparence, notamment dans les négociations entre les pouvoirs publics et les grands groupes. Ainsi, les accords transactionnels entre les grands groupes et les autorités de poursuite américaines sur des affaires de fraude, de corruption ou de criminalité des affaires donnent lieu à des accords transactionnels préparés au moyen d’enquêtes conduites sous le sceau de la confidentialité par des avocats et négociés confidentiellement, ce qu’une minorité de juges américains a commencé à remettre en cause en refusant d’homologuer les accords convenus sans avoir pu vérifier la conformité à l’ordre public de ces accords25Voir Antoine Garapon, Pierre Servan-Schreiber (éd.), Deals de justice, Paris, PUF, 2013. .

En conclusion, c’est une impression de grande confusion qui se dégage, entre d’un côté un emballement fantastique de l’indignation associé aux phénomènes de corruption, et de l’autre cette complète refondation de l’éthique sur des principes purement formels et procéduraux. Cette confusion, Philippe Muray l’exprimait d’ailleurs très bien lorsqu’il écrivait, dans un article intitulé « Purification éthique », à propos des affaires du second septennat de François Mitterrand : « L’argent “sale” est une part de la part maudite, une miette du Mal essentiel. Le désigner comme responsable évite de regarder l’économique devenu harcelant, et la marchandise emballée. »

Du reste, le même Muray aurait certainement vu dans la désignation du 9 décembre par l’Assemblée générale des Nations unies en 2003 comme journée internationale de lutte contre la corruption, l’entrée du thème de la corruption dans l’ordre du festif, et partant sa sortie du domaine du réel.

Réferences

Les paiements dits de facilitation sont des paiements de faible montant dont l’objet n’est pas d’influencer la décision d’un fonctionnaire, mais d’accélérer une procédure non discrétionnaire. L’exception est prévue expressément par le FCPA et la convention de l’OCDE ne contient aucune disposition appelant à la criminalisation de ces paiements. En revanche, l’OCDE recommande maintenant aux Etats signataires d’opter pour la pénalisation des paiements de facilitation. Un des dilemmes qui se pose par exemple est de savoir si un paiement de $50 au commandant du port pour faciliter l’entrée au port d’un navire, afin d’éviter un délai de deux jours d’attente en rade pouvant occasionner des dommages chiffrables en centaines de milliers, voire en millions de dollars pour les parties prenantes à l’opération de transport, est un paiement licite ou illicite.
Citizens Are Leading the War on Corruption, Financial Times 6/02/2014.
La liste des délits sanctionnés est longue : manipulation du marché des dérivés de crédit dans l’affaire du London Whale, pratiques trompeuses vis-à-vis de consommateurs concernant la vente de services non rendus, manipulations alléguées des marchés de l’électricité en Californie et dans le Midwest, organisation de vente aux enchères publiques d’immeubles à usage d’habitation en fraude des droits des propriétaires, fausses déclarations à la SEC sur le taux de défaut des prêts hypothécaires ayant servi de collatéraux dans des CDO (Collateralized Debt Obligation), entente litigieuse ayant eu pour effet de manipuler les taux d’intérêts sur les cartes de crédit, abus de confiance, violations de la réglementation américaine sur les programmes de sanctions économiques à l’encontre de Cuba, de l’Iran et du Soudan, manipulation du marché des obligations municipales, surfacturation de clients déployés à l’étranger par les forces armées américaines.
Frank Vogl, Waging War on Corruption, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2012.
Les plans d’ajustement structurels sont le fruit d’un brainstorming entre McNamara et son adjoint, Ernest Stern, au cours du voyage retour d’une rencontre annuelle FMI / BM à Belgrade en 1979. L’idée était simple : il s’agissait d’octroyer des prêts d’ajustement structurels destinés à financer des importations dont l’obtention était conditionnée à des réformes structurelles dans le sens de l’économie de marché.
David J. D. Gould, Jose A. Amaro-Reyes, The Effects of Corruption on Administrative Performance : Illustrations from Development Countries, staff working paper, no SWP 580. Management and development series, no 8, Washington, D.C., The World Bank, 1983. http://documents.worldbank.org/curated/en/1983/10/700881/effects-corruption-administrative-performance-illustrations-development-countries.
L’exemple le plus frappant étant sans doute donné par la Guinée équatoriale, pays peu peuplé (800 000 habitants), dont le PIB par habitant est le plus élevé sur le continent africain pour une des populations parmi les plus pauvres de la planète. La Guinée équatoriale, dont on entend souvent dire qu’elle est une entreprise de famille qui aurait un siège à l’ONU, connaît un véritable boom dans la construction d’infrastructures de prestige : centres de conférences, hôtels de luxe, autoroutes à six voies entre l’aéroport et le palais présidentiel, construction d’une nouvelle capitale au milieu d’une forêt vierge comprenant un palais présidentiel, un nouveau bâtiment pour le parlement, une cathédrale, un hôtel cinq étoiles de 400 chambres.
Daron Acemoglu, James Robinson, Why Nations Fail : The Origins of Power, Prosperity and Poverty, New York, Crown Business, 2012.
Ibrahim F. I. Shihata, Issues of Governance in Borrowing Members, Sec. M91-131, 5 février 1991.
Ibrahim F. I. Shihata, « Corruption : A General Review with an Emphasis on the Role of the World Bank », Journal of Financial Crime, vol. 5 Iss, 1997, p. 476, traduction libre par l’auteur.
Le plan de mise en œuvre de la Stratégie pour la promotion de la gouvernance et la lutte contre la corruption se fonde sur les sept principes fondamentaux énoncés dans cette stratégie, à savoir :
1. L’importance accordée par le Groupe de la Banque mondiale à la gouvernance et à la lutte contre la corruption est liée à sa mission, qui est de réduire la pauvreté – un État capable et responsable crée des opportunités pour les pauvres, il fournit des services de qualité et il améliore les résultats obtenus sur le plan du développement.
2. La responsabilité première d’un pays est d’améliorer la gouvernance – l’adhésion et la volonté politique des gouvernants sont des éléments clés d’une bonne exécution, et le Groupe de la Banque mondiale est déterminé à soutenir les priorités nationales. Les dirigeants des pays demeurent les principaux interlocuteurs du Groupe de la Banque.
3. Le Groupe de la Banque mondiale est déterminé à poursuivre activement la lutte contre la pauvreté et à chercher des moyens créatifs d’aider les pays, même dans ceux qui sont mal gérés – « les pauvres ne doivent pas payer deux fois ».
4. La forme de l’action engagée par le Groupe de la Banque mondiale sur le double front de la gouvernance et de la corruption variera selon les pays, en fonction de la situation particulière de chacun d’entre eux – il n’existe évidemment pas de solution unique, mais le Groupe de la Banque mondiale adoptera une approche cohérente pour ce qui est des décisions opérationnelles au niveau national, approche fondée sur les stratégies d’aide-pays du Groupe, sans toucher au système d’allocation basé sur les résultats pour les pays IDA ou au système d’allocation des ressources de la BIRD.
5. La mobilisation systématique d’un large éventail des parties prenantes représentant le gouvernement, les milieux d’affaires et la société civile est un déterminant fondamental du succès des réformes concernant la gouvernance et la corruption, et des résultats obtenus au plan du développement. C’est pourquoi, conformément à son mandat, le Groupe de la Banque mondiale s’emploiera à utiliser plus largement les bonnes pratiques existantes en mobilisant de nombreuses parties prenantes dans le cadre de ses activités opérationnelles, et notamment en renforçant la transparence, la participation et le suivi de ses propres opérations par une tierce partie.
6. Le Groupe de la Banque mondiale s’efforcera de renforcer les systèmes nationaux, au lieu de les court-circuiter – des institutions nationales de qualité constituent le moyen le plus efficace et le plus durable pour résoudre les problèmes de gouvernance et de corruption et atténuer les risques fiduciaires associés à l’utilisation des deniers publics en général et de ceux de la Banque en particulier.
7. Le Groupe de la Banque mondiale travaillera avec les bailleurs de fonds, les institutions internationales et d’autres acteurs aux niveaux national et international pour promouvoir une approche harmonisée et une coordination basée sur les mandats et avantages comparatifs respectifs des divers intervenants – « le Groupe de la Banque mondiale ne doit pas faire cavalier seul ».
A l’image de la cellule anti-corruption présidée par John Githsongo au Kenya au moment de la transition entre le régime de John Arap Moi et celui de Mwau Kibaki. Tant que Githsongo enquêtait sur les affaires de corruption du régime de Moi, il a pu opérer en toute indépendance. Cependant, lorsqu’il a commencé à enquêter sur les affaires de la nouvelle administration, Githsongo a dû fuir le pays et se réfugier en Grande-Bretagne.
Publish What you Pay est un réseau mondial d’organisations basé à Londres dont le but est de promouvoir la transparence dans les industries extractives. Fondé à l’origine par Global Witness, CAFOD (le Secours catholique britannique), OXFAM GB, Save the Children UK, TI-UK et l’Open Society de George Soros, Publish What you Pay comprend pas moins de 600 organisations dans le monde.
On citera parmi les principales initiatives d’empowerment le projet ALACS (Advocacy and Legal Advice Centers), qui est l’initiative globale la plus importante de TI. Au moyen de cliniques juridiques physiques, de hot lines et de services en ligne, les ALACS ont pour mission de renseigner les citoyens victimes de la corruption et de les orienter afin d’engager d’éventuelles actions, d’assister les justiciables et les administrés dans la préparation d’actions à engager, de suivre les dossiers, etc. Et aussi la Partnership for Transparency Funds (PTF), qui collecte des fonds auprès d’une série de bailleurs de fonds qu’elle distribue sous forme de subventions de montants assez faibles à des organisations locales pour des projets spécifiques d’anti-corruption. Fondé essentiellement sur la participation de bénévoles, pour la majorité des retraités de la Banque mondiale, le PTF offre de l’expertise senior à des organisations qui n’en auraient pas les moyens et administrent des programmes de montants trop faibles pour les bailleurs de fonds traditionnels.
Par exemple, le Worldwide Governance Indicators publié par le World Bank Institute.
La citation exacte est : « Create sunshine on the hidden corridors of public power and it will act as a powerful disinfectant. » F. Vogl, op. cit., p. 20.
« Knowledge is power, and those who possess it have the power to rule. Perhaps that is why an obsession with secrecy persists across the world. » Ibid.
Marcel Gauchet, « Fracture morale : 65 millions d’exceptions à la règle », Causeur, 2 mai 2013, http://www.causeur.fr/morale-hessel-iacub-marcel-gauchet-22342.html#.
Francis Fukuyama relève que l’on pouvait recenser 175 agences de lobbying en 1971. Dix ans plus tard, celles-ci étaient au nombre de 2 500. En 2009, elles étaient 13 700 dépensant plus de 3,5 milliards de dollars annuellement. S’agissant de l’Union européenne, voir le site du Corporate Europe Observatory qui documente les activités de la lobbycracy bruxelloise, laquelle représente environ 30 000 personnes et des dépenses annuelles de 3 milliards d’euros
La dette nationale américaine s’élève à 17 300 milliards de dollars. Si l’on y ajoute la dette privée, le total s’élève à plus de 60 000 milliards de dollars. Et le montant de la dette non provisionnée des programmes sociaux comme Medicare s’élève à 128 000 milliards de dollars, soit 20 000 milliards de plus que la totalité des actifs détenus par des Américains.
Jeffrey Winters, Oligarchy, New York, Cambridge University Press, 2011, p. 254 et suiv. Winters cite en exemple l’augmentation du nombre de pages du Standard Federal Tax Reporter, lequel dénombrait 400 pages en 1913, 40 500 en 1995, 60 044 en 2004 et 71 684 en 2010. Le record dans l’emphase va au Dodd Frank Act de 2010, qui fait intervenir une vingtaine de régulateurs et nécessite la rédaction de 398 instruments de régulation (rulemakings). Trois ans après l’adoption du texte, le 15 juillet 2013, 70 % des textes d’application ont été adoptés, soit 279 instruments, l’ensemble réglementaire construit autour des 848 pages du texte de loi s’élève à 13 789 pages, soit à peu près 15 millions de mots. Voir aussi Renaud Beauchard, « Les juristes ont-ils le dernier mot ? La place du droit dans la pensée néo-institutionnelle », in Obligations, procès et droit savant. Mélanges en hommage à Jean Beauchard, Paris, LGDJ, 2013, p. 419.
Le New York Africa Forum se présente comme « un forum panafricain de premier plan, réunissant toutes les générations de décideurs et d’experts afin de collaborer à l’émergence d’une Afrique gagnante, innovante, prospère, autonome, stable, qui jouerait un rôle de premier plan dans le nouvel ordre économique mondial ». Et on peut lire un peu plus loin : « Le Gabon émergent, pays hôte, est un lieu de rassemblement pertinent étant donné l’ambition de ses plans nationaux, de son approche novatrice en matière de développement durable et de son engagement pour la création d’infrastructures de niveau mondial » [sic]. Ont pris part aux deux premières éditions du New York Africa Forum, rassemblant 1 500 participants au total, Fatou Bensouda, le procureur général de la CPI, Hubert Védrine, Jacques Attali, Christine Ockrent, Cherie Blair, Nouriel Roubini, Mathieu Pigasse, Larry Summers, Andrew Young, Chanta Devarajan, l’économiste en chef de la BM, Anne Lauvergeon, Mohammed Yunus… Et à peine un mois après l’édition de 2013, c’était au tour de Denis Sassou N’Guesso d’accueillir à Brazzaville le forum Forbes, entouré des mêmes Ockrent, Pigasse et Andrew Young, avec en plus Guy Verhofstadt, Koffi Annan et Jean-François Copé, rémunéré 30 000 euros pour 20 minutes d’interview lénifiante.
Il s’agit de Qorvis, qui vient d’être acquis par Publicis et s’occupe par ailleurs des relations publiques des royaumes de Bahrein et d’Arabie Saoudite. En outre, Obiang et Gbagbo ont tous deux utilisé les services de Lanny Davis, ancien conseiller « spécial » de Clinton et porte-parole de la maison blanche sous Clinton sur les questions de financement de campagnes et autres questions « sensibles ».
Olivier Vallée, La Police morale de l’anti-corruption, Paris, Karthala, 2010, p. 214-215.
Voir Antoine Garapon, Pierre Servan-Schreiber (éd.), Deals de justice, Paris, PUF, 2013.
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À propos de l'auteur

Renaud Beauchard

Renaud Beauchard est chargé de mission de l'IHEJ, avocat, consultant indépendant.