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Christian Sylvain est expert associé au Centre européen de droit et d’économie de l’Essec (CEDE). Il préside également l’ECCO (European Club for Countertrade and Offset). Cette note n°6 de Conventions est issue des travaux menés dans le cadre du CEDE et notamment de l’atelier n°4 du 10 juin 2010 “Réciprocité dans les marchés publics internationaux”.
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Au moment où la Commission européenne se réinterroge sur l’accès aux marchés publics des partenaires de l’Union européenne, cette Note propose de s’intéresser de plus près à la question des offsets, qui sont autant de barrières non tarifaires mettant en question le schéma classique du contrat.
Le développement actuel des exigences en matière d’offsets, notamment dans les marchés « émergents » d’intérêt stratégique pour les entreprises françaises et européennes, révèle en effet les limites des représentations économiques du commerce mondial financiarisé, où le marché trouverait dans l’échange son équilibre et sa raison. Là où on pensait que le marché allait tout financiariser, on voit en réalité revenir des formes de troc.
Par l’intrication entre l’économique et l’extra-économique lié au développement, les offsets participent également de la logique qui sous-tend le développement de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) : on y traite par des contrats séparés une opération d’ensemble qui les excède. Ainsi, la véritable économie du contrat est à chercher hors du contrat.
Introduction
Les offsets sont des contrats non standards exigeant qu’une forme d’activité économique soit transférée du vendeur au gouvernement de l’acheteur comme condition pour la vente de biens et/ou services sur les marchés publics. L’offset concerne les échanges sur les marchés publics portant sur des biens de haute technologie (défense, énergie, aéronautique, transport, etc.). Il s’applique en général aux contrats supérieurs à 10 millions d’euros.
Les opérations d’offsets dans les marchés publics sont des mesures utilisées pour encourager le développement local ou améliorer la balance des paiements au moyen de prescriptions relatives à la teneur en éléments d’origine nationale, de l’octroi de licences pour des technologies, de prescriptions en matière d’investissement, d’échanges compensés ou de prescriptions similaires.
Les offsets voient le jour dans le cadre du droit du commerce international, du Buy American Act de 1933 issu de la première crise financière de 1929, aux articles 58 et 59 de la directive 2004/17/CE qui offrent, à des degrés divers, suivant les secteurs d’activités et les localisations géographiques, la possibilité, pour les gouvernements, d’utiliser les offsets comme condition de signature des grands contrats.
Les offsets sont la dernière évolution de la compensation
Les échanges compensés représentent entre 10 et 25 % des échanges commerciaux dans le monde et peuvent, suivant le niveau économique du pays, employer des techniques commerciales très différentes :
- le troc, forme primaire du commerce international, inventé par les Phéniciens 1300 ans avant J.-C. et encore pleinement utilisé, consiste à réaliser une transaction commerciale sans paiement ;
- le contre-achat, qui permet de neutraliser la balance commerciale, consiste en une opération d’achats simultanés où les deux parties sont à la fois acheteur et vendeur ;
- l’achat en retour (buy back) est une opération aux termes de laquelle un exportateur d’équipements s’oblige à reprendre les produits fabriqués grâce à ces équipements ;
- le BOT (Built, Operate, Transfert) est une concession par laquelle un investisseur privé accepte de financer, de construire, de gérer et de maintenir un service pour une période donnée et de le transférer à la fin de la dite période à une autorité publique.
Le mot offset est employé pour la première fois dans un accord entre les états-Unis et l’Allemagne signé en juillet 1961. Il s’agissait de minimiser l’impact financier du maintien des troupes américaines en Allemagne sur la balance américaine des paiements. Suite à cet accord, l’Allemagne a acheté des produits américains à hauteur de 80 % du coût de maintien des troupes américaines.
Le premier accord offset, comme nous le définissons aujourd’hui, a été signé entre les états-Unis (administration Kennedy) et l’Australie le 10 avril 1973 pour faciliter l’exportation australienne vers les états-Unis à hauteur de 25 % de la valeur des importations de matériels militaires en provenance des états-Unis.
De 1981 à 1990, le Congrès américain a commencé à s’intéresser de très près à la compréhension, le comptage et à l’analyse de l’impact négatif que pouvaient engendrer les offsets en termes de perte de valeur ajoutée nationale et, par voie de conséquence, en perte d’emplois.
La Ducan Policy, qui date de mai 1978, donne le point de départ pour développer une politique offset au niveau gouvernemental. Cette période se termine pendant l’administration Bush, qui va publier en avril 1990 la USG Policy on Offsets in Military Exports.
En décembre 2000, le Président Clinton formait officiellement l’Offsets Commission pour analyser l’utilisation des offsets. Cette commission allait se réunir pour la première fois le 4 décembre 2000 et émettre un rapport début 2001, qui est toujours la bible de référence pour comprendre la position américaine.
En parallèle, les traités de Maastricht en 1992 (UE art. 296) et Marrakech en 1994 (AMP art. 16) offriront la possibilité de pratiquer des offsets. Nous distinguons deux grandes familles d’offsets : il s’agit d’une notion complexe qui s’attache à l’idée d’impacter le PIB par transfert (offset direct) ou création (offset indirect) de valeur ajoutée dans le pays acheteur.
- Les offsets directs sont une coproduction et/ou un transfert de technologie du bien vendu et ont pour objectif de créer une base locale de fournisseurs pour soutenir l’investissement du contrat principal.
- Les offsets indirects concernent tous les types de création de valeur locale en dehors du bien vendu. Il s’agira dans ce cas de trouver des projets qui créent de la valeur tels que les nouveaux achats, les investissements, les formations, etc.
Les offsets les plus dévastateurs : la localisation et le transfert de technologie
L’exemple le plus frappant est celui de la Chine qui procède depuis son accession à l’OMC en 2001 à des appels d’offres publics dans lesquels les entreprises étrangères doivent garantir la localisation d’une partie de la fabrication souvent assortie d’un transfert de la technologie comme condition de signature du contrat.
Il sera noté que le gouvernement chinois sélectionne spécifiquement certains secteurs industriels dans lesquels doivent être mises en place des stratégies de transfert de technologie, de localisation et de réduction de la dépendance aux importations.
C’est le cas des éoliennes pour lesquelles la Chine exigeait 40 % de localisation en 2001, 70 % en 2007 et souhaite écarter des appels d’offres les compagnies étrangères en 2010.
Un transfert non maîtrisé (et souvent gratuit) des compétences et des connaissances est dangereux, car il accélère l’émergence des équipements chinois. La politique offset menée par la Chine au cours de la dernière décennie va lui permettre d’ici à 2020 de proposer au monde entier des avions, des centrales nucléaires, des trains à grande vitesse équivalant à nos meilleurs équipements à un prix bien inférieur.
Certes, les Occidentaux seront dans un premier temps toujours sous-traitants, mais pour combien de temps ? La perte de valeur ajoutée et donc d’emplois dans les entreprises sur des technologies qui, pour la plupart, ont été financées par les deniers publics, sera considérable.
Par ailleurs, les dernières demandes de transfert ne concernent plus des technologies matures mais des technologies qui n’ont pas encore fait leurs preuves.
Dans ce cas, les entreprises risquent gros.
Le discours qui consistait à dire, il y a quelques années, que le transfert de technologie est un mal nécessaire dont il vaut mieux profiter plutôt que de laisser la place à un concurrent ne paraît plus adapté.
En effet, les pays-états émergents ont pris comme habitude d’acheter toutes les technologies disponibles sur le marché international dans un secteur donné et chaque concurrent est mis à la même enseigne. Cela signifie que le pays émergent va devenir un concurrent unique qui sera le seul à maîtriser toutes les technologies.
C’est non seulement un pillage de haute technologie mais aussi une agression vis-à-vis des PIB occidentaux puisque les fonds propres nécessaires à réinvestir pour accélérer les différenciations technologiques ne seront plus disponibles.
La seule réponse : les offsets indirects
En excluant l’idée de voir un monde sans offset, l’utilisation des indirects a un avantage déterminant, celui de ne pas toucher au cœur de métier de l’entreprise exportatrice ni par un transfert de technologie, ni par des localisations.
Il s’agit par conséquent de garder la valeur ajoutée de l’entreprise exportatrice intacte et de ne pas créer à moyen terme un nouveau concurrent.
Par ailleurs, l’offset indirect limite les risques en supprimant toute relation parasitaire avec le contrat principal. Cela permet en outre à l’entreprise de trouver une solution pour répondre à ses obligations offsets en s’ouvrant à tous les secteurs de l’industrie.
Les critères d’admissibilité recoupent l’intervention par l’obligataire des compensations, qui doit être déterminante dans la création du bénéfice économique proposé ; mais aussi l’accord préalable des autorités offsets locales, qui est indispensable dans tous les pays.
D’autre part, la nature du bénéfice économique doit être a minima d’un même niveau technologique que celui du système vendu par l’obligataire à son client. Certains pays accordent toutefois des exceptions quand les projets sont dans des secteurs prioritaires tels que l’environnement, des régions sous-privilégiées ou en crise (fort taux de chômage). Enfin, le projet doit être – sans ambiguïté – nouveau ou supplémentaire par rapport à l’existant dans le pays acheteur.
Les projets les plus utilisés pour obtenir des crédits d’offsets indirects sont :
- les achats des autres entreprises dans le pays qui impose l’offset (64 %) ;
- les transferts de technologies matures (16 %) ;
- l’assistance aux crédits (6 %) ;
- divers (14 %).
Ces chiffres sont ceux de l’industrie de la défense américaine publiés dans le 14e rapport sur les offsets de janvier 2010. Seule l’administration américaine réalise annuellement des études économiques de l’impact des offsets sur leurs industries de la défense et de l’aéronautique. Aucun équivalent n’existe en Europe et en France.
Les offsets suivent la mondialisation du commerce
Quatre-vingt-sept pays ont aujourd’hui des politiques offsets affirmées par des lois, des règles ou des pratiques non formalisées mais systématiques. Il est admis que plus de cent quarante pays font appel aux compensations dès qu’il s’agit de marchés publics.
En Europe, et ce depuis le traité de Rome, un grand nombre de pays membres considérait que la souveraineté attachée aux secteurs de la défense et de la sécurité du territoire donnait de facto le droit de contourner les règles internationales du commerce et donc de pratiquer des exigences de compensation.
La preuve en fut la mise en application d’un « code de conduite sur les offsets » en octobre 2008 par l’Agence européenne de défense qui, en quelque sorte, a officiellement validé la pratique des offsets dans les domaines souverains des membres de l’Union, même si cette dernière n’a aucune valeur légale.
Or, la Commission européenne vient de donner sa position contre l’application de toutes formes de compensation en Europe qu’elle considère comme contraire au traité, excepté pour les contrats ou partie de contrat qui relèvent de la sécurité du territoire. La démonstration est à faire par le membre. Il ne s’agit donc plus d’une mesure économique mais sécuritaire. Cependant, la Grèce vient de se faire condamner par la Commission pour discrimination après avoir imposé 35 % de localisation en Grèce, sous le prétexte de la sécurité intrinsèque liée à l’approvisionnement. L’affaire est à suivre.
Comment gérer les offsets ?
Une obligation d’offset s’exprime comme un pourcentage du montant importé du contrat principal.
Autour de 30 % en général pour les contrats civils et 100 % pour ceux de l’aéronautique et de la défense.
Ce montant est la traduction monétaire d’une obligation de création de valeur et pas une obligation de « remboursement ».
Les offsets sont gérés par des contrats incluant garantie bancaire, délai de réalisation et pénalités. Dans de nombreux pays, les ministères du commerce, de la défense ou de l’industrie sont en charge de la bonne réalisation des engagements de l’obligataire.
Nécessité de développer une stratégie d’entreprise pour répondre aux exigences des compensations
Un exportateur confronté à des demandes de compensations peut réagir de quatre manières différentes.
La première est de refuser de considérer la proposition. Il perdra probablement la vente et épargnera à son entreprise bien des problèmes.
La deuxième est de mettre la demande de côté et de repousser toute action le plus longtemps possible.
La troisième est de répondre positivement à la demande en s’étant préparé au préalable avant de s’engager dans la compensation.
La quatrième est d’avoir une réaction proactive et une stratégie marketing qui engage l’entreprise, réaction qui doit donner à cette dernière un nouvel outil de vente et permettre de développer une relation long terme avec son client.
Développer une stratégie proactive des compensations dans l’entreprise appelle un changement radical des attitudes dans la gouvernance et l’organisation.
Les préjugés contre les compensations doivent être vaincus en prenant conscience qu’engager des ressources pour développer une stratégie d’utilisation des compensations doit être une décision de l’exécutif, mais aussi en prenant en compte le fait qu’engager un accord de compensation n’implique pas que l’entreprise le fasse par elle-même, et enfin en sachant que le développement de la connaissance et du savoir-faire des compensations constitue un facteur déterminant de réussite à l’international.
Les offsets : un outil de vente
La dernière décennie a montré que les offsets sont devenus, au-delà du marketing MIX classique[1], un outil de vente incontournable.
Depuis 2000, les grands contrats internationaux des marchés publics (défense, énergie, transport) qui ont été signés sans offset se comptent sur les doigts de la main. Beaucoup de contrats ont été remportés par les entreprises américaines, plus familières que les entreprises européennes dans ce domaine. En effet, ces entreprises sont organisées autour du GOCA (Global Offset & Countertrade Association) très actif dans tous les pays importateurs.
Dernièrement, un appel d’offre émanant d’une entreprise publique sud-africaine donnait un poids de 25 % à l’offset pour l’attribution d’un marché de haute technologie.
Pour pallier à ces nouvelles demandes, une cinquantaine d’entreprises principalement européennes en provenance de treize pays se sont réunies pour former le European Club for Countertrade & Offsets (ECCO), qui devient la première institution européenne à cristalliser tous les vecteurs de la problématique offset.
Conclusions
Un des premiers accords de la Communauté économique européenne qui s’est constituée en 1957 a été l’abaissement puis la disparition des droits de douane entre les pays signataires du traité de Rome.
Cinquante ans plus tard, les entreprises de haute technologie occidentales sont confrontées, sur les marchés publics, aux exigences commerciales compensées des pays émergents, variation insidieuse des barrières non tarifaires classiques avec en toile de fond des accords de Doha en panne. Les plus connues d’entre elles sont les demandes de transfert de technologie et les localisations comme condition de signature des grands contrats du marché public qui dévalisent les entreprises ayant construit leur offre sur leur savoir-faire technologique (perte et destruction d’emplois, perte de savoir-faire et d’expérience).
à l’heure de la globalisation et de la fuite de nos technologies vers les pays émergents, nous pouvons nous demander pourquoi l’Europe s’interdit d’imposer ce que la Chine par exemple s’autorise, à savoir des exigences offsets (transfert de technologie et localisation) comme condition de signature des contrats des marchés publics.
Les règles du commerce international sont probablement à réinventer pour prendre en compte ce phénomène.
En attendant, l’Europe, en dehors de son marché intérieur, gagnerait en cohésion en proposant de prendre sérieusement ce phénomène en considération. Des solutions régulées permettraient, d’une part, une meilleure intégration des pays en voie de développement et rejoindraient en ce sens un des vœux du cycle de Doha et, d’autre part, pourraient protéger le cœur de métier des entreprises de hautes technologies.
Christian Sylvain
[1] Le marketing MIX (parfois traduit par plan de marchéage ou politique de marchéage) désigne dans le cadre d’une entreprise ou d’une marque l’ensemble cohérent de décisions relatives aux quatre volets que sont : politique de produit, politique de prix, politique de distribution et de communication.