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UNITAID communication/Flickr

Le plaidoyer en faveur d’un accroissement de l’aide au développement pour atteindre les objectifs du millénaire, ainsi que les discours encourageant à redoubler d’effort sur les problématiques de développement durable, d’alimentation, d’éducation ou de santé sont argumentés et fondés.

Cependant, dans un contexte économique difficile, ces discours ne seront écoutés et suivis d’actions que si les états et les organisations financées par ces derniers démontrent la bonne utilisation des fonds levés et la réussite des projets existants.

La taxe sur les billets d’avion, qui permet le prélèvement de petits montants sur chaque billet acheté, répond à ce besoin d’aide additionnelle et pérenne pour le développement. Cette taxe au profit du développement est considérée comme un financement innovant. La France, qui en a été l’instigatrice, peut s’enorgueillir d’avoir mis en place un tel mécanisme dès 2006.

Depuis sa création, la France a décidé d’allouer la majorité des fonds ainsi recueillis à l’initiative UNITAID, qui a été officiellement lancée en septembre 2006 par le Brésil, le Chili, la France, la Norvège et la Grande-Bretagne.

UNITAID, hébergée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), finance des programmes durables d’accès aux produits de santé (traitements, tests diagnostic et outils de prévention) contre les trois grandes pandémies tueuses, le VIH/SIDA, le paludisme et la tuberculose. UNITAID bénéficie largement au continent africain dans la mesure où 85 % au moins de ses financements sont dirigés vers les pays les moins avancés. La particularité d’UNITAID est qu’elle a choisi d’agir sur les problèmes de santé publique en « soignant » les imperfections du marché comme les prix hauts, les monopoles de fournisseurs ou les ruptures de stocks. L’analyse du problème de santé définit l’intervention à opérer sur le marché qui modifiera favorablement de façon directe ou indirecte les prix, l’accessibilité, la qualité et la disponibilité des traitements.

 

Il était donc important pour cette jeune organisation, de même que pour les pays qui ont mis en place la taxe sur les billets d’avion, de démontrer rapidement la réussite de l’initiative. Cette réussite, UNITAID l’a démontrée sur deux fronts :

UNITAID a tout d’abord démontré sa capacité à lever des financements, près de 1,3 milliard de dollars au cours des quatre premières années, près de 2 milliards si l’on y ajoute les récentes annonces de la France et de la Grande-Bretagne pour les trois prochaines années (110 millions d’euros par an et 53 millions de livres sterling respectivement). Au-delà de ce montant, UNITAID a mobilisé des ressources « qualitativement », c’est-à-dire avec prévisibilité, pérennité et complémentarité :

–       en couplant les contributions budgétaires traditionnelles (30 % du budget) et celles provenant de mécanismes de financements innovants (taxe sur les billets d’avion représentant 70 % du budget) ;

–       en attirant des fonds publics et privés, de pays et de fondations privées ;

–       en élargissant le club des pays contribuant à l’aide publique au développement. On retrouve au sein d’UNITAID des pays récemment entrés dans l’OCDE comme la Corée et le Chili, des pays émergents comme le Brésil, et des pays parmi les moins avancés (PMA) comme le Mali, le Niger ou Madagascar.

Ce melting-pot des donateurs incluant de fait une aide au développement dite sud-sud est intéressant. Les pays en développement ne siègent plus au titre de pays bénéficiaires mais à celui de contributeurs directs. La légitimité de l’organisation n’en est que renforcée.

Ensuite, UNITAID a démontré sa capacité à dépenser efficacement ses ressources.

On pourrait dire d’UNITAID qu’elle a financé 20 millions de moustiquaires imprégnées pour protéger les enfants du paludisme, qu’elle finance actuellement 80 % des traitements antirétroviraux pédiatriques dans le monde, que près de 200 millions de dollars ont été investis dans des projets Tuberculose. Ce sont des chiffres éloquents et satisfaisants, notamment en terme de santé publique, mais qui ne reflètent pas cependant la réelle valeur ajoutée d’UNITAID.

En effet, UNITAID recherche un bénéfice sur la santé publique à travers des actions sur le marché. Pour illustrer cette vision et les actions que l’organisation met en place pour y parvenir, présenter trois exemples concrets, un sur chacune des maladies couvertes par UNITAID, s’avère davantage significatif.

Pour la tuberculose, UNITAID cherche à stimuler le marché des médicaments pédiatriques en maximisant les achats groupés et en finançant les contrôles qualité de l’OMS, ce qui permet l’émergence de nouveaux concurrents et de nouveaux médicaments génériques sur le marché. Ces actions ont entraîné la baisse de 10 à 30 % du prix de quatre médicaments pédiatriques clés et la mise sur le marché du premier comprimé combiné à dose fixe pour les enfants (plusieurs principes actifs réunis en un seul comprimé).

Pour le paludisme, UNITAID subventionne avec le Fonds mondial le prix des doses fixes combinées à base d’Artémisinine, le traitement recommandé par l’OMS. L’intention d’UNITAID est de remodeler le marché des médicaments antipaludéens en poussant les médicaments anciens, devenus comparativement plus chers, hors du marché. La disparition progressive de ces médicaments laissera un marché suffisamment important et de taille critique pour que le prix bas du nouveau traitement se stabilise et que la subvention puisse disparaître.

Pour le VIH/SIDA, le conseil d’administration d’UNITAID a voté en juin 2010 un mécanisme particulièrement innovant de communauté de brevets (patent pool). Elle négociera avec les laboratoires la mise à disposition de licences sur leurs brevets (sur la base du volontariat et contre royalties). L’ensemble des licences réunies dans un « magasin unique » est essentiel pour le génériqueur qui souhaite produire à bas coup un comprimé associant des substances actives couvertes par de multiples brevets. Le génériqueur pourra ainsi démarrer la production de génériques et de nouveaux comprimés à doses fixes combinées bien avant que les brevets ne tombent dans le domaine public, ce qui favorisera l’accessibilité des plus récents antirétroviraux aux populations du Sud.

Certains pourraient y voir une volonté de réguler le marché des produits de santé lié aux trois pandémies, ce n’est pourtant pas le dessein d’UNITAID, qui n’en a d’ailleurs pas la capacité face à des industries pharmaceutiques privées et puissantes. On s’aperçoit avec ces quelques exemples qu’UNITAID se veut plutôt un levier bénéfique pour orienter le marché vers des produits de santé plus efficaces, plus accessibles et de qualité. Cela n’est pas novateur dans l’absolu, les états ayant l’habitude de manier de tels leviers. Retrouver ce type de missions aux mains d’une organisation multilatérale pour le développement est cependant plus rare. Cette vision a été capitale lorsque la diplomatie française s’est attachée à trouver la manière de maximiser les revenus de la taxe sur les billets d’avion et de susciter l’adhésion de ses homologues brésiliens, chiliens, britanniques et norvégiens à l’aventure.

Lors d’une récente retraite du conseil d’administration, les partenaires d’UNITAID dans le secteur de la santé ont notamment exprimé leur intérêt à travailler avec une organisation qui pouvait générer une baisse du coût des produits qu’ils distribuent (60 % des dépenses du Fonds mondial sont directement liées à l’achat de produits de santé), un élargissement du nombre de producteurs et de médicaments de qualité disponibles et une arrivée plus précoce de produits de santé innovants qui modifieront la prise en charge des patients.

Ainsi, le rôle levier d’UNITAID n’est possible que si elle travaille en concertation avec ses pairs en sélectionnant ses niches prioritaires dans l’environnement normatif défini par l’OMS, en s’informant sur les dernières technologies développées par les organismes de recherche et développement, en envisageant, dès la conception des programmes, comment le produit de santé sur lequel elle investit pourra être distribué à l’échelle mondiale et aux populations les plus pauvres. Cette consolidation des partenariats est un des défis majeurs d’UNITAID pour l’avenir.

En conclusion, il est intéressant de noter que les financements innovants ont engendré, dans le cas d’UNITAID, une utilisation nouvelle des ressources. Les financements innovants ont donc le mérite de stimuler les réflexions du milieu de l’aide au développement tant dans la recherche que dans l’utilisation des fonds. Beaucoup de batailles sont encore à gagner, à commencer par l’adhésion de nouveaux pays à la mise en place de la taxe sur les billets d’avion. Aux états aujourd’hui de démontrer la bonne utilisation des ressources levées pour nourrir l’argumentaire en faveur d’autres mécanismes comme une taxe sur les transactions financières ou une taxe sur le tabac. Ceci en assurant, bien évidemment, que les financements innovants continuent d’être additionnels et complémentaires de l’aide budgétaire publique indispensable.

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À propos de l'auteur

Stephane Renaudin

Rédacteur UNITAID, Politique du médicament, télémédecine, biologie, fondation du millénaire, chargé de mission à la Sous-direction de la santé et du développement humain, Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats/Direction des biens publics mondiaux, Ministère des affaires étrangères et européennes.