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Résumé:Our cyborg future : law and policy implications, de Benjamin Wittes et Jane Chong, Septembre 2014. Brookings En juin...
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cyborg_paper_header2_990x450Our cyborg future : law and policy implications, de Benjamin Wittes et Jane Chong, Septembre 2014. Brookings

En juin 2014, la Cour suprême, dans l’arrêt Riley v.California, a décidé que les officiers de police, sans mandat, n’avaient pas le droit de chercher des données sur un téléphone portable durant une arrestation. Le Président de la Cour suprême John Roberts a déclaré que « les téléphones portables font désormais tellement partie de notre vie quotidienne qu’un visiteur venant de Mars pourrait penser qu’ils font partie de l’anatomie humaine. » En raison de l’hybridation croissante de l’homme avec les machines, certains en viennent à penser que notre monde est en passe d’être dominé par l’ère du « cyborg ». Déjà dans une note de 1963 commandée par la NASA, Clynes et Kline présentaient le cyborg dans une perspective transhumaniste : il s’agit pour l’humain de se libérer progressivement grâce à la technologie des limitations imposées par son organisme biologique.

Cette perspective transhumaniste, qui n’est pas sans rappeler avec angoisse les projets totalitaires d’un homme nouveau pose de nombreuses questions. L’amélioration humaine est souvent associée à la « triche » (que l’on pense par exemple aux athlètes qui prennent de la drogue). D’un autre côté, le vaccin ne fait pas l’objet d’une critique similaire dans la mesure où il est associé à la santé. Pourtant la frontière n’est pas si évidente : il s’agit à chaque fois d’une disposition humaine qui va à l’encontre de la nature. Neil Harbisson, un activiste et artiste cyborg qui est né avec une vue en noir et blanc, est équipé d’un œil cyborg qui lui permet d’ « entendre » les couleurs. En 2012, des officiers de police ont attaqué Harbisson et cassé la caméra qui lui servait d’œil, pensant à tort qu’elle lui servait à filmer la manifestation à laquelle il participait. Le problème ici réside dans la différence entre ce qui serait une technologie extérieure et une technologie faisant partie du corps humain (c’est aussi le cas par exemple des pacemakers).

Linda Mac Donald Glenn, une avocate spécialisée dans la bioéthique, évoque le cas d’un vétéran du Vietnam, quasi tétraplégique, qui était dépendant d’une assistance mobile non seulement pour se déplacer mais aussi pour le protéger d’éventuelles crises d’hypotension. Lors d’un voyage en avion son assistance mécanique fut endommagée, ce qui le contraint à rester alité pendant 11 mois où il développa des ulcères. La ligne d’avion le dédommagea de 1500 dollars en avançant le fait que ce n’était pas leur client qui avait été touché mais son matériel. Or Linda Mac Donald Glenn soutient le fait que les implants, les technologies incorporées, les nanotechnologies ne doivent pas être considérés comme des éléments externes au corps mais bien comme des prolongements du corps humain qui transcendent les dimensions externes et internes.

Les experts de ces technologies ont montré leur vulnérabilité mais le gouvernement a échoué à renforcer les mesures pouvant protéger les patients contre les tentatives de hacking. La menace est suffisamment sérieuse pour que le vice-président Dick Cheney ordonne de désactiver la connexion de son implant cardiaque avec internet lorsqu’il était à son bureau afin de prévenir toute attaque.

Nous pouvons penser et bouger sans que cela laisse des traces signifiantes, de même pouvons nous parler sans que notre voix soit automatiquement enregistrée. Au contraire, toute activité digitale est enregistrée et laisse des traces qui peuvent faire l’objet de transactions et de transmissions, ce qui pose le problème de la surveillance et de la protection des données. Plus nous devenons des cyborgs, plus nous produisons des données personnelles qui vont devoir faire l’objet d’une protection légale accrue. Mais pour protéger notre vie privée, nous allons avoir besoin de plus que des lois ou des contre-mesures : nous allons devoir reconsidérer ce que nous appelons la « vie privée ». Dans un monde de plus en plus peuplé de cyborgs, la surveillance des machines ira de pair avec la surveillance des hommes, il n’y aura plus de distinction fondamentale entre les deux.

Les révélations de surveillance de la NSA a entraîné un véritable tôlé à travers le monde. Il y a encore peu de temps, ce n’était pas un secret que la NSA interceptait les appels internationaux mais les gens ne s’en offusquaient pas plus que ça. C’est que cette pratique d’échanges internationaux n’était pas encore démocratisée. Maintenant que tout le monde échange des mails, des appels et prend part à des réseaux sociaux internationaux, les gens se sentent en général davantage menacés dans leur vie privée.

Les choix que nous faisons quant à l’intégration de la technologie à l’homme, et le pouvoir que nous attribuons à celle-ci vont certainement conditionner une nouvelle configuration juridique au regard de la vie privée et de la séparation entre l’homme et la machine. Ce nouveau champ en matière de droit n’en est qu’à ses balbutiements, et révèlent avant tout des carrefours en termes de choix de civilisation.

Lien vers le rapport Our cyborg future

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À propos de l'auteur

Édouard Jourdain

Edouard Jourdain est docteur en sciences politique et en philosophie de l’EHESS où il a soutenu une thèse intitulée « Le politique entre guerre et théologie. La révision du marxisme et l’ombre de Carl Schmitt ». Spécialiste de Proudhon, Il a publié entre autres Proudhon, Dieu et la guerre (l’Harmattan, 2006), Proudhon, un socialisme libertaire (Michalon, 2009) et L’anarchisme (La découverte, 2013). Chargé de mission sur le projet Conventions (Enjeux croisés du droit de l’économie et de la mondialisation), ainsi que sur les séminaires de philosophie du droit et de philosophie politique, il enseigne aussi la théorie politique notamment à l’Ecole nationale des ponts et chaussées et à l’Institut catholique de Paris.