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image-1La question climatique est devenue une priorité diplomatique. La prise de conscience des enjeux environnementaux au niveau mondial ne  se fait pas pour autant sans heurts, les divergences entre États quant à la politique à mener suivant le plus souvent un clivage entre pays développés et pays en développement. Tous s’accordent cependant sur la mise en place d’instruments de régulation consistant notamment à donner un prix à la pollution. Or on peut aujourd’hui distinguer deux types d’instruments de régulation environnementale : l’un est règlementaire et consiste à contraindre le comportement des pollueurs sous peine de sanctions administratives ou judiciaires. L’autre est économique et agit sur les coûts et bénéfices des agents. C’est sur la régulation economique que cette note de Conventions se focalise, comparant les avantages et inconvénients des marchés de quotas d’émission négociables et de la taxe carbone.

Julien Bueb est Docteur en économie de l’environnement. Actuellement économiste des ressources naturelles et de l’environnement au Ministère des Affaires étrangères, il traite de nombreuses thématiques connexes : villes durables, transition énergétique, financiarisation des marchés de matières premières et sécurité alimentaire.

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La question climatique est rythmée par les cycles de négociation annuelle, les conférences de parties. Depuis la conférence de Copenhague de 2009, les médias se sont emparés du sujet et ont pu favoriser une prise de conscience des citoyens. En particulier, les populations des pays en développement sont conscientes de leur vulnérabilité face aux recrudescences de sécheresses ou d’inondations. Pourtant, les négociations internationales ne semblent pas présager une résolution imminente de la crise climatique : les pays en développement réclament un droit à la croissance et un engagement financier des pays développés pour leur venir en aide ; les pays émergents souhaitent bénéficier d’un véritable transfert de technologie ; les États-Unis, le Canada ou l’Australie ne veulent pas s’engager sur des cibles contraignantes de réduction d’émission. Par conséquent, le seuil de 450 parties par million en deçà duquel la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère doit être contenue afin de limiter la hausse des températures moyenne à 2 degrés se rapproche.

Pour pallier l’enlisement des négociations internationales et pour répondre aux inquiétudes des citoyens, certains États développent des stratégies individuelles ou collectives afin de contourner les points de blocage internationaux. Dans le cadre des négociations internationales, certains États, comme la France, cherchent à mettre en avant « l’agenda positif ». Celui-ci consiste en un partage des solutions et des opportunités et non en un partage du fardeau. Il a pour objectif d’impliquer l’ensemble des acteurs économiques dans les engagements climatiques. Au niveau européen, il existe de nombreuses initiatives comme le « 3 x 20 », même s’il est peu probable que ces trois objectifs – réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique et obligation que 20 % de la consommation d’énergie soit d’origine renouvelable – puissent être atteints. Au niveau national, la Chine a récemment mis en œuvre des marchés carbone provinciaux pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. L’Allemagne a entrepris un vaste plan d’efficacité de la consommation énergétique et de déploiement de site de production d’énergies renouvelables. La France, dans le cadre du Grenelle de l’environnement et du débat sur la transition énergétique, voit se développer des initiatives régionales ou départementales de financement de la rénovation du bâti des particuliers ou collectif.

Afin de mettre en œuvre ces initiatives, les réflexions sociologiques, économiques, voire même philosophiques sont nécessaires pour éclairer les choix politiques. Pour les économistes, il paraît important de s’interroger sur les moyens de prendre en compte les émissions passées pour que chaque État ou agent économique supporte un coût proportionnel à sa nuisance environnementale passée, présente et à venir. De même, que peut-on attendre de la réduction de l’intensité énergétique ? Quels sont les instruments les plus adaptés pour réguler les émissions carbone ?

Ainsi, afin de modifier les comportements de l’ensemble des acteurs de la société, les pouvoirs publics déploient de nombreux mécanismes contraignants ou incitatifs. Ces mesures ont des conséquences économiques et ont pour objectif d’intégrer le coût de la dégradation de l’environnement passée ou à venir dans le processus de choix des agents économiques. À ce titre, pour atteindre « le facteur 4 » 1Le facteur 4 est un engagement qui consiste à réduire par quatre les émissions de gaz à effet de serre. en 2050, les pays de l’Union européenne ont décidé de mettre en œuvre en 2005 un marché de permis (ou de quotas) d’émission négociables pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce marché permet aux entreprises qui y sont assujetties de s’échanger des permis afin d’atteindre leur objectif de réduction des émissions. Toutefois, de nombreux économistes remettent en cause la performance de cet instrument et se positionnent en faveur d’une taxe environnementale. Cette note analyse les arguments en présence.

1. Les instruments de régulation au service de l’environnement

Les instruments de politique environnementale visent à susciter chez les pollueurs un comportement moins polluant ou à les faire payer pour les dommages environnementaux que leur processus de production a occasionnés 2 La pollution est une externalité. À ce titre, elle n’est pas prise en compte dans les coûts de production des entreprises qui la génèrent. La réglementation vise à réguler cette externalité par un plafonnement des émissions, une taxe aux émissions, l’instauration d’un marché carbone, etc. On parle alors d’internalisation des externalités.. Il s’agit d’internaliser les externalités. Une externalité est le fait d’un agent économique qui, par son activité, crée un effet externe en procurant à autrui, sans contrepartie monétaire, une utilité ou un avantage de façon gratuite, ou au contraire une désutilité, un dommage sans compensation. La régulation permet d’internaliser les externalités, c’est-à-dire en les intégrant par un coût ou par une rétribution dans le processus de production.

On distingue deux catégories d’instrument : les instruments réglementaires et les instruments économiques. Les instruments réglementaires – norme, label, licence – ont pour objectif de contraindre ou de modifier le comportement des pollueurs sous peine de sanctions administratives ou judiciaires (approche « command and control »). Les instruments économiques (taxe, subvention, marché de permis d’émission négociables [PEN]) agissent sur les bénéfices et les coûts des agents qui y sont soumis. Ils modifient l’environnement économique des pollueurs, à travers des signaux « prix » pour les inciter à adopter de manière volontaire des comportements davantage vertueux. Outre cette incitation à diminuer les émissions, les instruments économiques procurent, dans une perspective dynamique, une plus grande incitation à innover dans des énergies de substitution et des technologies moins polluantes. De plus, les coûts induits par les instruments réglementaires sont plus difficiles à évaluer à la différence des coûts induits par une taxe ou un marché de PEN 3Avec une norme, les coûts de mise en conformité environnementale des entreprises sont difficiles à évaluer pour tout un secteur. Avec une taxe ou un marché de PEN, il est plus facile d’évaluer le coût global de la mise en conformité. En effet, les entreprises choisissent la quantité de pollution qu’elle va réduire en fonction du prix de la taxe ou du prix des quotas. Par ce mécanisme, elles révèlent leur coût de dépollution aux pouvoirs publics. Ces derniers sont donc plus à mêmes d’évaluer le coût global de la mise en conformité environnementale..

Les instruments réglementaires ont eu souvent, par le passé, la faveur des régulateurs. Désormais, les pouvoirs publics tendent à privilégier des instruments économiques, ceux-ci devant permettre de réduire la pollution et de minimiser les coûts de la mise en conformité environnementale par des mécanismes incitatifs et/ou décentralisés. Cette orientation, quant au mode d’intervention, vient de la volonté croissante de diminuer le poids des pouvoirs publics. Il s’agit ainsi de déléguer la décision aux agents privés par des incitations plutôt que par une normalisation et un contrôle des pouvoirs publics. L’instrument le plus efficace dépend toutefois de la nature des externalités : une norme peut parfois être plus efficace que les instruments économiques. C’est le cas, en particulier, des phénomènes où aucune compensation n’est possible (comme la biodiversité exceptionnelle). Il est donc crucial de ne pas aborder la question environnementale sous l’unique prisme des coûts afin de choisir au mieux l’instrument le plus pertinent, qu’il soit réglementaire ou économique.

Les instruments économiques les plus utilisés sont les taxes et les PEN. Une taxe environnementale consiste à donner directement un prix à la pollution. Les pouvoirs publics déterminent le coût de la pollution et fixent le montant de la taxe en conséquence. La taxe est donc un instrument « prix » 4Par exemple, le projet « d’écotaxe poids lourds » décidé lors du Grenelle de l’environnement devait répondre à l’internalisation de la pollution due au transport routier en donnant un prix à cette externalité.. Avec un marché de PEN, instrument « quantité », le prix est déterminé par le marché. La quantité de pollution à ne pas dépasser – le plafond – est fixée par les pouvoirs publics, puis les opérateurs du marché s’échangent des quotas d’émission (système cap and trade).

2. Taxe ou permis d’émission négociables ?

Ces deux instruments présentent des avantages et des inconvénients économiques, de mise en œuvre et d’adéquation avec les autres systèmes de limitation des gaz à effet de serre.

Avantages/inconvénients économiques

Le choix d’une taxe par les pouvoirs publics ne permet pas de déterminer avec certitude le plafond de pollution, soit la quantité maximale émise par le pays. La quantité de gaz à effet de serre émise dépend des choix stratégiques des entreprises : si les perspectives de croissance sont favorables, l’entreprise peut choisir de polluer davantage tout en étant taxée davantage, car ses prévisions de bénéfices augmentent. Le marché de permis présente l’avantage de permettre un meilleur contrôle de la quantité de pollution et d’éviter des coûts de prélèvements trop importants. L’incertitude quant aux émissions exactes dépend de l’arrivée de nouvelles entreprises auxquelles il est possible d’attribuer des permis supplémentaires 5Dans le cas contraire, lorsqu’une entreprise cesse son activité, les PEN alloués et non utilisés ne sont pas détruits. Ils peuvent être vendus sur le marché. et des stratégies de gestion des permis par les agents (par exemple, les entreprises peuvent mettre en réserve ou « épargner » des permis pour l’année suivante).

La détermination du plafond pose néanmoins des difficultés au régulateur lorsque l’environnement est incertain. Ainsi, les économistes s’accordent pour dire que la taxe a plutôt un avantage sur le marché des PEN quand le régulateur connaît mal le coût marginal moyen de limitation des émissions. Les pouvoirs publics ont, en effet, une idée du prix de la taxe carbone qu’il faudrait appliquer pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions. Avec un marché carbone, il est très difficile d’anticiper les conséquences en termes de prix de la détermination d’un plafond de pollution. Or, c’est le prix qui induit les stratégies des agents. De plus, étant donné les aléas conjoncturels (tels que crise économique, brusque hausse des prix du pétrole), le comportement des agents peut être très mal anticipé par le régulateur. Par ailleurs, la taxe a un avantage clair sur le marché des PEN quand il s’agit de contrôler la pollution diffuse 6Une pollution diffuse est une pollution due à de multiples rejets de polluants dans le temps et dans l’espace. La pollution des eaux par les nitrates et les pesticides de l’agriculture ou le transport routier sont des exemples de pollution diffuse..

Le marché de PEN a un caractère contra-cyclique contrairement à une taxe : en cas de crise, l’activité économique diminue ; la demande de permis et donc le prix de la tonne de CO2 baissent, ce qui fait office d’amortisseur pour des entreprises déjà en difficulté par la conjoncture. À l’inverse, dans une économie de croissance soutenue, la hausse du prix de la tonne carbone aura un rôle incitatif à l’abattement des émissions. Ainsi, le prix du carbone est corrélé à l’activité économique.

Compte tenu de la taille des agents 7Sur le marché européen, ce sont la taille des agents et l’appartenance à certains secteurs qui déterminent si une entreprise est assujettie ou non au marché carbone. En conséquence, seuls 40 % des émissions européennes sont couvertes par le marché européen, ce qui représente environ 12 000 installations. soumis à un tel marché ou de l’allocation initiale de permis, certaines entreprises profitent d’une position dominante sur le marché des PEN, ce qui nuit à l’efficacité de cet instrument 8Selon Ellerman et al. (2010), dix entreprises reçoivent plus du tiers des quotas et 74 % des PEN sont alloués à cent entreprises.. Des entreprises peuvent bénéficier d’un pouvoir de marché et manipuler le prix des permis 9Lors de la première phase du marché de PEN européen, des manipulations de prix ont été suspectées compte tenu de l’évolution des cours qui ne reflétait pas les fondamentaux du marché.. Il existe différents types de manipulation. La manipulation simple consiste à influencer le prix des PEN en achetant ou en vendant des permis pour en tirer un avantage direct au détriment des concurrents. Si les entreprises sont en concurrence sur un même marché de biens, l’entreprise dominante sur le marché des PEN peut à nouveau manipuler le prix sur ce marché afin de s’octroyer un avantage indirect sur le marché des biens, en rendant plus coûteux l’action de l’entreprise dominée sur le marché des PEN (manipulation par exclusion). L’entreprise dominante pèse sur la profitabilité des entreprises dominées à la fois directement sur le marché des PEN mais également sur le marché des biens.

Enfin, le marché des PEN est un marché financiarisé. Les PEN constituent, comme les matières premières, une classe d’actifs qui participent à la diversification des portefeuilles. En fonction de leur prise de position, certains acteurs ont donc intérêt à ce que la pollution augmente. Étant donné le haut niveau de financiarisation des marchés, la volatilité des prix est élevée. Or, un prix volatil n’offre pas un signal prix clair et stable qui est pourtant nécessaire pour que la prise de décision des agents économiques soit efficace 10Un prix volatil peut induire de mauvais calculs économiques aux entreprises et altérer les décisions d’investissement. Une taxe donne un signal-prix crédible aux entreprises.. Comme dans le cas des produits agricoles et du pétrole, on pourrait appeler à davantage de transparence et à une coordination des acteurs en mettant en place des initiatives type JODI (Joint Organisations Data Initiative) ou AMIS (Agricultural Market Information System) adoptées dans le cadre du G20. Toutefois, les leçons des crises financières antérieures montrent que l’appel à la transparence est récurrent suite aux crises mais que les améliorations dans ce domaine ne permettent pas de résoudre durablement l’instabilité des marchés financiers. Seule une régulation forte permettra d’endiguer l’instabilité naturelle des marchés financiers, comme le marché européen de PEN. À ce titre, la Cour des comptes propose de donner compétence aux régulateurs financiers nationaux pour superviser l’ensemble du marché carbone et d’imposer une séparation des tâches d’opérateur et de régulateur du marché en confiant cette seconde mission à l’Autorité européenne des marchés et des valeurs mobilières.

Avantages/inconvénients de mise en œuvre

La taxe est plus facilement applicable car les structures nécessaires à sa mise en place sont moins contraignantes quel que soit l’instrument. Il faut, en effet, surveiller les émissions des entreprises afin qu’elles s’acquittent correctement de la taxe. Avec un marché de PEN, il est de surcroît nécessaire d’organiser et de structurer le marché par la mise en œuvre de plates-formes d’échanges de PEN nationales et internationales. Il faut ensuite superviser ce marché qui peut faire l’objet de manipulations, d’abus de position dominante, de volatilité ou de prises de position spéculative. Par exemple, sur le marché de PEN californien qui visait à réguler les émissions de dioxyde de soufre des centrales charbon, plusieurs entreprises ont organisé une pénurie d’électricité afin de stimuler les prix des permis à la hausse 11Enron a été accusé d’avoir participé au montage de la manipulation des cours des permis.. Au sein de l’UE, plusieurs opérateurs ont organisé une fraude massive à la TVA lors des deux premières phases du marché de PEN européen (ou EU ETS) 12Grâce aux différences de régimes fiscaux entre les vingt-sept États membres, des quotas étaient achetés dans des pays membres à faible TVA et revendus à des pays comme la France qui appliquait une TVA à 19,6 %. L’intermédiaire recevait la différence entre achat de tonnes de carbone hors taxe et vente TVA comprise, opération réalisée dans un temps très court. Dans un rapport rendu le 11 octobre 2011, la Cour des comptes analyse les dysfonctionnements qui ont affecté le marché carbone dans l’ensemble de l’UE. La Cour relève des fraudes massives à la TVA ayant entraîné une perte de recettes fiscales estimées pour la France à 1,5 milliard d’euros et des vols de quotas qui ont conduit la Commission européenne à ordonner la fermeture des registres nationaux le 15 janvier 2011 pendant quinze jours.. Ces événements soulignent le besoin d’une réglementation stricte pour encadrer les opérations de ce marché financier.

L’EU ETS concerne les émissions de CO2 des principales installations industrielles de cinq secteurs (combustion, métal, ciment, verres et papier). La réglementation s’applique à chaque installation industrielle dont la taille dépasse un certain seuil. Les installations les plus petites ne sont pas concernées puisque les coûts de mise en conformité, d’entrée et d’appréhension du marché seraient disproportionnés. Le mécanisme EU ETS couvre ainsi environ 2 gigatonnes de CO2 par an, soit environ 40 % des émissions européennes de GES. Inversement, une taxe peut concerner tous les acteurs et les secteurs à émissions diffuses comme le transport, principal secteur d’émission de GES en France. Elle permet également de toucher sans contraintes tous les secteurs de manière différenciée ou non, par une variation du taux 13Un taux de taxe plus faible pourrait être imposé aux secteurs stratégiques ou plus sensibles à la concurrence internationale..

L’allocation initiale des permis est essentielle pour rendre efficace cet instrument. À ce jour, l’UE a opté pour la méthode de grandfathering. Chaque pays octroie, à chaque structure soumise au marché de PEN, un nombre de quotas au prorata des émissions passées. Depuis 2013, une part croissante des permis alloués chaque année se font par enchères. Ce second mode d’allocation est davantage pertinent, car il fait supporter le coût de la pollution aux entreprises émettrices 14Les entreprises risquent néanmoins de transférer le coût de cette réglementation au consommateur final par une augmentation du prix de vente de leurs produits. Ce report du coût sur le prix existe quel que soit l’instrument de régulation.. De plus, la vente aux enchères de PEN permet aux États de retirer des fonds qui pourront servir à financer d’autres politiques publiques (par exemple la diminution des cotisations salariales ou financement des politiques de développement). On parle de « double dividende ».

Toutefois, même si les permis sont vendus par enchères 15La supériorité de la mise aux enchères sur l’allocation gratuite de PEN tient en trois arguments selon Cramton et Kerr (1999) (« The distributional effect of carbon regulation : why auctioned carbon permits are attractive and feasible », in The Market and the Environment, éd. Stener, Northampton, UK, Edward Elgar Publishing) : les recettes de la vente permettent de réduire les prélèvements (argument du double dividende), l’enchère corrige les biais distributifs de l’allocation gratuite (argument de redistribution) et l’enchère réduirait le poids des groupes de pression (argument d’économie politique)., ils ne généreront pas les effets escomptés (incitation à investir dans des techniques de production propres et réduction des émissions) si les Plans nationaux d’allocation de quotas (PNAQ) demeurent trop laxistes. Après avoir approché 0,04 euro à la fin de la première phase (2005-2007), le prix des permis avoisine les 7,5 euros la tonne de CO2 fin 2012 et 5 euros à ce jour. Les analystes suggèrent pourtant un prix du carbone compris entre 17 et 32 euros pour que le mécanisme soit incitatif. Cette faiblesse des prix est la conséquence de deux éléments : les pays européens négocient avec l’UE un plafond de pollution le moins pénalisant pour leur économie en surévaluant leur besoin ; le plafond de pollution s’il est surévalué ou s’il est sous-évalué aura des effets différés dans le temps sur le prix, les agents ne connaissant pas quelle est la quantité de permis en excès ou en sous-nombre. De plus, la conjoncture modifie les fondamentaux du marché : les entreprises produisent moins et donc polluent moins. Les conséquences d’une surévaluation du plafond de pollution ne sont vérifiées qu’avec retard, car le prix qui en résulte s’adaptera progressivement au surplus d’offre 16Le Parlement européen réuni en session plénière a adopté, mercredi 3 juillet 2013, une proposition renforcée de backloading, par rapport à sa version précédente votée en commission de l’environnement en juin. Le texte adopté consiste à retirer temporairement 900 millions de quotas de CO2 du marché EU ETS. Cette mesure a pour objectif d’augmenter le prix des quotas. Pour que l’effet ne soit pas seulement temporaire, il serait nécessaire que le retrait de ces quotas soit définitif et que le nombre de permis alloués les prochaines années soit également révisé à la baisse.. Avec une taxe, le processus très conflictuel de détermination des allocations initiales de permis – en particulier dans un cadre international où les différents pays estiment ne pas avoir le même degré de responsabilité vis-à-vis du changement climatique et où, dans un cadre national, ces pays sont soumis aux lobbies – n’existe plus.

Avantages/inconvénients d’adéquation avec les autres mécanismes

Le président de la République a récemment remis à l’agenda l’idée d’une « taxe carbone aux frontières » (ou mécanisme d’inclusion carbone). Cette mesure, qu’il faut comprendre comme la mise en œuvre d’un mécanisme de régulation aux frontières des GES, peut prendre la forme d’une intégration des importateurs au marché de PEN ou d’une taxe stricto sensu. Si le choix se porte sur une taxe, la question du taux de cette taxe se pose. Correspondra-t-elle au prix d’échange sur le marché des permis qui est volatil ? Si un prix moyen est choisi comme référence, alors il faudra déterminer la périodicité de sa révision. Si une intégration des importateurs en Europe au marché de PEN est préférée, il faudra déterminer le nombre de permis qu’ils devront acheter ou qu’il faudra leur octroyer gratuitement 17Si la pratique du grandfathering demeure même partiellement comme cela est envisagé à partir de 2013, la mise en place d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières risque de susciter d’éventuels conflits devant l’Organe de règlements des différends de l’OMC. En effet, si les entreprises étrangères ont l’obligation d’acheter des permis pour entrer sur le marché européen alors que des entreprises européennes bénéficieront d’une allocation gratuite, le traitement pourrait ne pas être jugé comme étant équitable.. De nombreuses autres questions restent en suspens : quid de la compétitivité des entreprises sur des marchés extra-européens ? Que se passera-t-il si les biens importés sont plus « propres » que les biens similaires européens ? Si les produits importés et les produits similaires produits en Europe ne sont pas traités de manière similaire, le principe de non-discrimination de l’OMC pourra être évoqué et sujet à contentieux. En conséquence, une taxe intérieure couplée avec une taxe carbone aux frontières sont davantage visibles et prévisibles. Il n’y a également pas de difficultés de compatibilité entre ces deux systèmes.

Face à ces nombreuses critiques, il peut être souhaitable d’abandonner le marché de PEN à la fin de sa troisième période d’existence. Une telle décision implique cependant de s’interroger sur le devenir des mécanismes de projet qui en dépendent : la mise en œuvre conjointe (MOC) et le mécanisme de développement propre (MDP). Ces deux systèmes permettent à une entreprise d’obtenir des crédits carbone lorsqu’elle investit dans des systèmes de production sobre dans des pays non soumis au marché de PEN européen 18Avec une taxe européenne, on pourrait imaginer un système de dérogation à la taxe pour les entreprises qui réaliseraient des investissements de la MOC ou du MDP..

3. La mise en œuvre de la taxe environnementale

Lors de la mise en place du protocole de Kyoto, le marché des PEN a été préféré à la taxe carbone comme instrument de régulation des émissions de GES pour quatre raisons : les négociations internationales sur le changement climatique sont organisées autour de cibles quantitatives ; introduire une nouvelle taxe aux États-Unis est difficilement envisageable ; l’acceptabilité d’un marché assorti d’une allocation gratuite de permis est meilleure que celle d’une taxe ; mettre en œuvre une taxe au niveau communautaire nécessite une décision à l’unanimité, tandis que le marché de permis n’a nécessité que la majorité qualifiée. L’Union européenne, qui défendait l’idée d’une taxe lors de ces négociations, s’est ralliée à l’instrument défendu par les États-Unis. Les Américains soutenaient l’idée qu’une solution de marché est toujours préférable à la politique d’un régulateur. Par ce ralliement, les Européens espéraient faciliter la ratification du protocole par les États-Unis.

Compte tenu des difficultés de négociations climatiques et même si l’UE ETS, qui n’en est plus à sa phase d’expérimentation, connaît de nombreux inconvénients, il paraît peu pertinent de remettre en cause le choix du mécanisme de PEN à court terme. Au-delà de 2020, aucune politique n’est néanmoins arrêtée tant au niveau européen qu’au niveau international. Si une taxe doit remplacer le marché de permis, il sera nécessaire de bien évaluer son taux et de définir son profil temporel, soit sa révision périodique pour prendre en compte l’amélioration des connaissances sur le changement climatique et les innovations technologiques.

En revanche, d’ici 2020, il semble nécessaire d’appliquer une taxe carbone en complément du marché de permis, puisqu’il est impossible de soumettre toutes les structures polluantes à un tel marché 19À ce jour, l’idée du remplacement de l’EU ETS par une taxe n’est pas débattue au niveau européen bien que cette idée, après avoir été débattue dans les cercles de recherche, semble atteindre les réflexions des institutionnels français.. Au niveau européen, cette taxe concernerait les secteurs non assujettis à l’UE ETS et les ménages. La coexistence de ces deux mécanismes posera cependant un problème de coordination : quel prix du carbone retenir ? La taxe devrait être le prix de référence, car on ne peut pas modifier la taxe au gré des fluctuations du prix des permis. Plusieurs options permettraient de faire converger ces deux mécanismes 20La convergence de ces mécanismes et leur juste adéquation sont essentielles pour qu’une telle taxe – transitoire – ne soit pas à nouveau invalidée par le Conseil constitutionnel. Les pouvoirs publics français avaient, en effet, fixé une taxe carbone à 17 euros par tonne de CO2 émise. Cette taxe devait prendre effet à partir du 10 janvier 2010. Son objectif était d’augmenter jusqu’à 100 euros en 2030. L’assiette de la taxe était constituée de l’ensemble des émissions de CO2 des secteurs non soumis au système européen des quotas : transports, bâtiments, et ensemble des émissions provenant des petites entreprises industrielles, artisanales ou agricoles. L’acceptabilité publique avait été gagnée grâce aux mesures censées assurer la neutralité fiscale de la taxe et l’exemption de certaines professions telles que les agriculteurs, les transporteurs routiers et les marins pêcheurs du paiement de cette taxe. L’exonération totale dont devaient bénéficier les entreprises soumises au régime européen est néanmoins ce qui a motivé le rejet projet par le Conseil constitutionnel en décembre 2009.:

• La taxe pourrait être un prix pivot autour duquel fluctuerait le cours des PEN. Ce prix pourrait également évoluer dans une bande de prix ;

• Un réajustement périodique du nombre de permis alloués pourrait contribuer à la convergence de la taxe et du prix des PEN ;

• Les entreprises assujetties au marché de PEN pourraient payer une contribution (ou recevoir une subvention) égale à la différence entre la taxe et le prix moyen annuel.

Chacune de ces options comporte des inconvénients comme la limitation du principal avantage du marché de PEN, l’ajustement du prix à l’évolution de l’offre et de la demande. Il importe néanmoins d’en établir un bilan coûts/avantages approfondi afin de permettre au régulateur de faire le meilleur choix et d’éviter une généralisation de l’usage de cet instrument à d’autres substances polluantes ou à d’autres pays 21 Plusieurs pays, comme la Chine ou l’Australie, envisagent de mettre en œuvre ou ont récemment mis en œuvre un marché de PEN..

Réferences

Le facteur 4 est un engagement qui consiste à réduire par quatre les émissions de gaz à effet de serre.
La pollution est une externalité. À ce titre, elle n’est pas prise en compte dans les coûts de production des entreprises qui la génèrent. La réglementation vise à réguler cette externalité par un plafonnement des émissions, une taxe aux émissions, l’instauration d’un marché carbone, etc. On parle alors d’internalisation des externalités.
Avec une norme, les coûts de mise en conformité environnementale des entreprises sont difficiles à évaluer pour tout un secteur. Avec une taxe ou un marché de PEN, il est plus facile d’évaluer le coût global de la mise en conformité. En effet, les entreprises choisissent la quantité de pollution qu’elle va réduire en fonction du prix de la taxe ou du prix des quotas. Par ce mécanisme, elles révèlent leur coût de dépollution aux pouvoirs publics. Ces derniers sont donc plus à mêmes d’évaluer le coût global de la mise en conformité environnementale.
Par exemple, le projet « d’écotaxe poids lourds » décidé lors du Grenelle de l’environnement devait répondre à l’internalisation de la pollution due au transport routier en donnant un prix à cette externalité.
Dans le cas contraire, lorsqu’une entreprise cesse son activité, les PEN alloués et non utilisés ne sont pas détruits. Ils peuvent être vendus sur le marché.
Une pollution diffuse est une pollution due à de multiples rejets de polluants dans le temps et dans l’espace. La pollution des eaux par les nitrates et les pesticides de l’agriculture ou le transport routier sont des exemples de pollution diffuse.
Sur le marché européen, ce sont la taille des agents et l’appartenance à certains secteurs qui déterminent si une entreprise est assujettie ou non au marché carbone. En conséquence, seuls 40 % des émissions européennes sont couvertes par le marché européen, ce qui représente environ 12 000 installations.
Selon Ellerman et al. (2010), dix entreprises reçoivent plus du tiers des quotas et 74 % des PEN sont alloués à cent entreprises.
Lors de la première phase du marché de PEN européen, des manipulations de prix ont été suspectées compte tenu de l’évolution des cours qui ne reflétait pas les fondamentaux du marché.
Un prix volatil peut induire de mauvais calculs économiques aux entreprises et altérer les décisions d’investissement. Une taxe donne un signal-prix crédible aux entreprises.
Enron a été accusé d’avoir participé au montage de la manipulation des cours des permis.
Grâce aux différences de régimes fiscaux entre les vingt-sept États membres, des quotas étaient achetés dans des pays membres à faible TVA et revendus à des pays comme la France qui appliquait une TVA à 19,6 %. L’intermédiaire recevait la différence entre achat de tonnes de carbone hors taxe et vente TVA comprise, opération réalisée dans un temps très court. Dans un rapport rendu le 11 octobre 2011, la Cour des comptes analyse les dysfonctionnements qui ont affecté le marché carbone dans l’ensemble de l’UE. La Cour relève des fraudes massives à la TVA ayant entraîné une perte de recettes fiscales estimées pour la France à 1,5 milliard d’euros et des vols de quotas qui ont conduit la Commission européenne à ordonner la fermeture des registres nationaux le 15 janvier 2011 pendant quinze jours.
Un taux de taxe plus faible pourrait être imposé aux secteurs stratégiques ou plus sensibles à la concurrence internationale.
Les entreprises risquent néanmoins de transférer le coût de cette réglementation au consommateur final par une augmentation du prix de vente de leurs produits. Ce report du coût sur le prix existe quel que soit l’instrument de régulation.
La supériorité de la mise aux enchères sur l’allocation gratuite de PEN tient en trois arguments selon Cramton et Kerr (1999) (« The distributional effect of carbon regulation : why auctioned carbon permits are attractive and feasible », in The Market and the Environment, éd. Stener, Northampton, UK, Edward Elgar Publishing) : les recettes de la vente permettent de réduire les prélèvements (argument du double dividende), l’enchère corrige les biais distributifs de l’allocation gratuite (argument de redistribution) et l’enchère réduirait le poids des groupes de pression (argument d’économie politique).
Le Parlement européen réuni en session plénière a adopté, mercredi 3 juillet 2013, une proposition renforcée de backloading, par rapport à sa version précédente votée en commission de l’environnement en juin. Le texte adopté consiste à retirer temporairement 900 millions de quotas de CO2 du marché EU ETS. Cette mesure a pour objectif d’augmenter le prix des quotas. Pour que l’effet ne soit pas seulement temporaire, il serait nécessaire que le retrait de ces quotas soit définitif et que le nombre de permis alloués les prochaines années soit également révisé à la baisse.
Si la pratique du grandfathering demeure même partiellement comme cela est envisagé à partir de 2013, la mise en place d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières risque de susciter d’éventuels conflits devant l’Organe de règlements des différends de l’OMC. En effet, si les entreprises étrangères ont l’obligation d’acheter des permis pour entrer sur le marché européen alors que des entreprises européennes bénéficieront d’une allocation gratuite, le traitement pourrait ne pas être jugé comme étant équitable.
Avec une taxe européenne, on pourrait imaginer un système de dérogation à la taxe pour les entreprises qui réaliseraient des investissements de la MOC ou du MDP.
À ce jour, l’idée du remplacement de l’EU ETS par une taxe n’est pas débattue au niveau européen bien que cette idée, après avoir été débattue dans les cercles de recherche, semble atteindre les réflexions des institutionnels français.
La convergence de ces mécanismes et leur juste adéquation sont essentielles pour qu’une telle taxe – transitoire – ne soit pas à nouveau invalidée par le Conseil constitutionnel. Les pouvoirs publics français avaient, en effet, fixé une taxe carbone à 17 euros par tonne de CO2 émise. Cette taxe devait prendre effet à partir du 10 janvier 2010. Son objectif était d’augmenter jusqu’à 100 euros en 2030. L’assiette de la taxe était constituée de l’ensemble des émissions de CO2 des secteurs non soumis au système européen des quotas : transports, bâtiments, et ensemble des émissions provenant des petites entreprises industrielles, artisanales ou agricoles. L’acceptabilité publique avait été gagnée grâce aux mesures censées assurer la neutralité fiscale de la taxe et l’exemption de certaines professions telles que les agriculteurs, les transporteurs routiers et les marins pêcheurs du paiement de cette taxe. L’exonération totale dont devaient bénéficier les entreprises soumises au régime européen est néanmoins ce qui a motivé le rejet projet par le Conseil constitutionnel en décembre 2009.
Plusieurs pays, comme la Chine ou l’Australie, envisagent de mettre en œuvre ou ont récemment mis en œuvre un marché de PEN.
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Julien Bueb

Julien Bueb est Docteur en économie de l’environnement. Il est actuellement économiste des ressources naturelles et de l’environnement au Ministère des Affaires étrangères.