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Alors que, dans la société française, la tendance est au principe de précaution, il est tentant de succomber par réaction, dans l’espace numérique, au désir de défendre une liberté sans contrainte. Ce n’est pas la voie choisie par le juge judiciaire dès 1996 dans la jurisprudence, ni par le législateur comme en témoignent les lois récentes qui tentent de réguler le téléchargement sur Internet.

Du point de vue du créateur, pour qui la rémunération a toujours été difficile1Alain Beuve-Méry, Quels sont les écrivains qui vivent de leur plume ?, Le Monde, 7 septembre 2010., avant même Internet, je pense qu’il faut se réjouir du respect des droits d’auteur, et l’interpréter non pas comme un combat d’arrière-garde, mais au contraire comme l’affirmation d’une liberté essentielle. Il faut se souvenir de ce que disait Le Chapelier en 1791 lors du vote de décrets révolutionnaires abolissant les privilèges d’édition et reconnaissant le droit de l’auteur sur son œuvre : « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable […] est l’ouvrage fruit de la pensée d’un écrivain2Cité dans Augustin-Charles Renouard, Traité des droits d’auteur dans la littérature, les sciences et les beaux-arts, Paris, Jules Renouard et Cie, 1838, t. 1, p. 309.. »

Quelques exemples récents démontrent toutefois que si le législateur et le juge sont légitimes à poser les principes et à en assurer l’application, seuls les acteurs économiques (auteurs, exploitants, simples utilisateurs…) parviennent à développer des solutions ad hoc, originales et protéiformes.

I.  Le juge a imposé les droits d’auteur au numérique

Ces dernières années, le téléchargement sur Internet a largement occupé le terrain de la discussion publique. Cela fait pourtant déjà une quinzaine d’années que le juge judiciaire a posé le principe du respect des droits d’auteur sur Internet3TGI Paris, Ord. de référé, 14 août 1996, Sté Éditions musicales Pouchenel c/École centrale de Paris, JCP 1996, II, no 22727..

L’affaire concernait deux élèves de grandes écoles d’ingénieurs qui avaient mis en ligne sans autorisation sur leur page web des morceaux de musique de Jacques Brel consultables par les autres utilisateurs. En jugeant que cette mise à disposition en ligne sans autorisation de l’auteur constituait une reproduction illicite et caractérisait ainsi un acte de contrefaçon, les juges ont placé le numérique dans le champ des droits d’auteur.

Toute numérisation d’une œuvre, qu’elle soit musicale, littéraire, photographique, plastique ou autre, est considérée comme une reproduction au sens de la loi du 11 mars 1957. Les œuvres multimédia, telles qu’un site web ou encore une page web, sont également protégées par le droit d’auteur dès lors qu’elles satisfont les critères de l’originalité. En outre, l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle pose le principe selon lequel toutes les œuvres d’esprit, dont font partie les œuvres multimédia, sont protégées par le droit d’auteur.

Ainsi, les bases de données qui répertorient les résultats de ventes aux enchères en reproduisant les œuvres ont été amenées à signer des accords avec la société française de gestion collective des droits d’auteur dans les arts visuels (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques, ADAGP) sous peine de se voir assigner pour contrefaçon.

Le débat sur les droits d’auteur est donc finalement clos depuis longtemps, et en affirmant de manière claire le respect des droits d’auteur sur Internet, le juge se situe dans la droite ligne de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1948 qui consacre dans son article 27 le droit de chacun à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.

La nouveauté vient plutôt des solutions d’adaptation élaborées par les acteurs économiques et des effets inattendus induits par la technologie et les nouveaux comportements.

II. Nouveau contexte, nouveaux outils : place au pragmatisme

 Dans le marché de l’art, l’entrée dans l’ère du numérique a des effets qui démontrent, de manière paradoxale, qu’Internet permet un plus grand contrôle sur le marché. Ainsi, le développement des bases de données d’œuvres volées ou spoliées, facilement consultables, a renforcé l’obligation de due diligence des professionnels qui ont désormais intérêt à s’astreindre à une vérification préalable à chaque vente. De plus, la mise en ligne systématique par les maisons de vente aux enchères à travers le monde des catalogues et des résultats des ventes fait que tout acheteur peut avoir connaissance de l’historique des ventes du tableau qu’il se propose d’acheter.

 Autre effet sans doute inattendu dans le domaine du livre, et qui démontre qu’il n’existe pas de solution toute faite, celui de l’accord conclu entre Hachette Livre et Google en décembre 2010 pour la numérisation de certains ouvrages commercialement indisponibles4Amélie Blocman, « Accord Hachette-Google », Légipresse, no 278, décembre 2010, p. 391-392.. Bien que cet accord soit limité aux conditions d’autorisation de numérisation, et ne gère pas la rémunération des auteurs ou des ayants droit, il intervient dans un contexte difficile entre Google et les éditeurs, et établit que confrontés à des impasses, les acteurs économiques trouvent des solutions ponctuelles et limitées, mais adaptées, ce que le législateur ou le juge auraient été en incapacité de mener à bien.

 Un autre paradoxe est celui de l’autoédition sur Internet. Divers articles parus notamment à l’occasion du prix Renaudot évoquent le site de vente en ligne de l’artiste et écrivain nominé, Marc-édouard Nabet. Ce phénomène illustre pour le créateur une nouvelle approche dans la diffusion de l’œuvre littéraire et dans la perception des droits d’auteur5Alain Beuve-Méry, « La tentation de l’autoédition », Le Monde des Livres, 13 janvier 2011..

 Même dans le secteur du disque et de la musique, probablement le plus touché puisque le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) a annoncé fin janvier une baisse de chiffre d’affaires de – 5,9 % en 2010 par rapport à 20096Véronique Mortaigne et Sylvain Siclier, « Le marché du disque français poursuit sa longue chute », Le Monde, 24 janvier 2011., un accord important a été conclu en octobre 2010 entre la SACEM (Sociétés des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) et YouTube, la plate-forme vidéo qui met en ligne de la musique et des films. Cet accord, en négociation depuis trois ans, prévoit que les auteurs, auteurs-réalisateurs, humoristes, compositeurs et éditeurs de musique, dont le répertoire est géré par la SACEM, seront rémunérés lors de la diffusion de leurs œuvres sur YouTube7Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS), Actualités du droit de l’information (ADI), octobre 2010.. On peut également citer l’accord entre Radio France et plusieurs sociétés d’auteurs en vue de la rémunération des œuvres mises à disposition du public sur le site Internet de la radio.

 Accords bilatéraux, conventions ad hoc, telles sont les solutions qui semblent se développer et fonctionner : le pragmatisme est à l’œuvre.

Réferences

Alain Beuve-Méry, Quels sont les écrivains qui vivent de leur plume ?, Le Monde, 7 septembre 2010.
Cité dans Augustin-Charles Renouard, Traité des droits d’auteur dans la littérature, les sciences et les beaux-arts, Paris, Jules Renouard et Cie, 1838, t. 1, p. 309.
TGI Paris, Ord. de référé, 14 août 1996, Sté Éditions musicales Pouchenel c/École centrale de Paris, JCP 1996, II, no 22727.
Amélie Blocman, « Accord Hachette-Google », Légipresse, no 278, décembre 2010, p. 391-392.
Alain Beuve-Méry, « La tentation de l’autoédition », Le Monde des Livres, 13 janvier 2011.
Véronique Mortaigne et Sylvain Siclier, « Le marché du disque français poursuit sa longue chute », Le Monde, 24 janvier 2011.
Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS), Actualités du droit de l’information (ADI), octobre 2010.
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À propos de l'auteur

Anne-Sophie Nardon

Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice du cabinet BORGHESE ASSOCIÉS, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, droit de l'art, droit des affaires, droit pénal des affaires et droit social.