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ALENA.myLes États-Unis et l’Union européenne négocient, depuis 2013, l’Accord de partenariat transatlantique. Pour leur part, le Canada et l’Union européenne ont conclu, en octobre 2013, une entente de principe relative aux négociations de l’Accord économique et commercial global. Si ces accords devaient être signés puis ratifiés, ils consolideraient le primat normatif du libre-échange au sein des États parties. Ces traités, en plus de favoriser un accroissement marqué de l’investissement transfrontalier, devraient prévoir des clauses conférant une protection juridique importante aux investisseurs étrangers.

À l’heure de la globalisation économique, la question du traitement de ces investisseurs transnationaux nous éclaire quant à l’équilibre des pouvoirs et à la nature axiologique du droit régissant le commerce international et les flux financiers globaux. Il peut donc être instructif de porter un regard vers l’Amérique du Nord, où le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain1Accord de libre-échange nord-américain intervenu entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États mexicains unis et le gouvernement des États-Unis, 17 décembre 1992, 32 ILM 289, 605 (ci-après l’« ALENA ») , l’ALENA, qui porte sur la protection des investisseurs, est en vigueur depuis maintenant deux décennies. Ce chapitre a donné lieu à plusieurs affaires qui illustrent bien les tensions entre les intérêts privés des investisseurs et l’intérêt national ou le bien commun.

Le cas de l’ALENA

Ces tensions entre la protection juridique aujourd’hui accordée aux investisseurs et la capacité normative de l’État se retrouvent dans l’accord juridique multilatéral établi par l’ALENA réunissant le Canada, les États-Unis et le Mexique depuis 1992. Le chapitre 11 de l’Accord prévoit en effet un dispositif visant à assurer la protection des investissements étrangers dont la portée est considérable. Notons qu’il n’en fut toutefois pas toujours ainsi: l’accord de libre-échange en place depuis 1988, qui ne regroupait initialement que les États-Unis et le Canada, ne prévoyait aucun dispositif similaire.

C’est donc avec l’inclusion du Mexique à la zone de libre-échange que les États-Unis insistèrent sur son ajout, dans le cadre des négociations de l’ALENA. Les États-Unis considéraient, dans une perspective de protection des intérêts des entreprises multinationales américaines, que « le système juridique du Mexique, pays en voie de développement, n’était pas aussi mature, prévisible et transparent que celui de pays développés »2Geneviève Dufour, « Le cas du chapitre 11 de l’ALENA : son impact sur la capacité de l’État d’agir pour le bien public et de gérer le risque », Lex Electronica, 17-1, 2012, p. 6. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).. En conséquence, le chapitre 11 visait à « protéger les droits économiques des investisseurs étrangers en assurant un climat juridique stable, de manière à stimuler les investissements »3Ibid..

Il s’agissait là d’une préoccupation sans doute légitime. Il importe néanmoins de préciser que le chapitre 11 est, par sa rédaction, tout autant applicable au Canada et aux États-Unis qu’au Mexique. À cet égard, l’ALENA est une première : il constitue en effet le premier instrument juridique international accordant une protection aux investisseurs étrangers dans les pays développés, un mécanisme ayant traditionnellement été réservé aux pays en voie de développement4Ibid., p. 7. « Before NAFTA Chapter 11, investor-state dispute settlement simply did not exist on the radar screen of trade policy analysts, antitrade activists or most international lawyers. It was the province of a small clique of practitioners specializing in international commercial arbitration, working either for investors or governments of developing countries on disputes arising from relationships that had gone awry. Although it lay dormant for the first few years of its existence, NAFTA Chapter 11 became the catalyst which would change this status quo. A few “entrepreneurial” lawyers (as we were called by politicians and government lawyers at the time) realized that the obligations contained within Chapter 11 were as applicable to the conduct of governments in economically developed countries as they were to those of the developing world », Todd Weiler, « The Significance of NAFTA Chapter 11 for the Development of International Economic Law », dans Todd Weiler (dir.), Nafta Investment Law and Arbitration : Past Issues, Current Practices, Future Prospects, New York, Transnational Publishers, Inc., 2004, p. 3., notamment à travers le recours au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), institué en 1965 par la convention de Washington5Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, 18 mars 1965, CIRDI/15. et faisant partie du Groupe de la Banque mondiale. Il y aurait probablement beaucoup à dire sur la multiplication des traités de libre-échange et des traités bilatéraux d’investissements depuis plusieurs années, une tendance qui illustre le primat donné au commerce et à l’économie conçus comme instruments essentiels de la politique étrangère des États occidentaux. Ces accords enserrent les États dans un écheveau normatif et créent un faisceau d’obligations et d’intérêts dont on croit qu’il sera difficile de s’extraire et qui peuvent constituer, au mieux, des communautés de destin ou, au pire, des moyens de pression. Mais, revenons-nous pour le moment au dispositif du chapitre 11 de l’ALENA.

La protection conférée par l’ALENA aux investisseurs étrangers

Le chapitre 11 de l’ALENA prévoit un mécanisme de règlement des différends entre une partie – un pays signataire – et un investisseur d’une autre partie. Ce mécanisme confère plusieurs droits aux investisseurs, notamment celui du traitement national (art. 1102), le droit au traitement de la nation la plus favorisée (art. 1103), l’interdiction de prescription de résultats (art. 1106), le droit à la norme minimale de traitement (art. 1105), ainsi qu’une protection contre l’expropriation (art. 1110). Ces deux derniers droits méritent que l’on s’y intéresse plus particulièrement.

Le droit à la norme minimale de traitement, qui a pour but d’assurer un traitement juste aux investisseurs, a été interprété très largement par les arbitres chargés d’en préciser la portée, à l’occasion de nombreux litiges, jusqu’à y ajouter des exigences additionnelles, telles qu’une obligation de protection des « attentes légitimes »6Lire notamment Julien Cazala, « La protection des attentes légitimes de l’investisseur dans l’arbitrage international », Revue internationale de droit économique, XXIII, 5, 2009.des investisseurs quant aux possibilités d’investissement et de profits. La protection contre l’expropriation vise pour sa part, en plus du cas de figure traditionnel de l’expropriation en bonne et due forme, l’expropriation indirecte, donc réglementaire, du fait d’une loi, d’un règlement ou d’une autre mesure qui aurait pour effet de réduire la valeur d’un investissement, même dans l’éventualité où cette mesure réglementaire viserait à répondre à des préoccupations légitimes propres à l’intérêt public ou au bien commun. Il est intéressant de noter que tous ces recours ne sont ouverts bien entendu qu’à l’investisseur étranger. Ce dernier pourra donc contester, en vertu du chapitre 11, la validité d’une norme environnementale, par exemple, alors que son homologue national, désireux de contester également une telle norme, ne pourra le faire que devant les tribunaux nationaux classiques et sans pouvoir recourir au dispositif matériel du chapitre 11. Bref, cet « investisseur » national devra se fonder sur la législation nationale souvent beaucoup moins « généreuse » que le dispositif de l’ALENA. Ce dernier sera donc désavantagé sur son propre territoire au regard des droits octroyés à son compétiteur étranger. En délocalisant son siège à l’étranger ou en faisant intervenir une filiale étrangère, il pourra néanmoins bénéficier du généreux dispositif prévu par le chapitre 11 et ses épigones.

Le chapitre 11 en chiffres : un aperçu révélateur

Initialement conçu pour pallier les lacunes du système judiciaire mexicain, le chapitre 11 a créé, en fait et en droit, un système judiciaire parallèle, au bénéfice des investisseurs étrangers et au détriment des intérêts des États et du bien commun. Cette affirmation mérite toutefois d’être précisée à la lumière de la présentation de quelques chiffres très révélateurs sur le recours au chapitre 11, notamment quant aux déséquilibres quantitatifs substantiels qu’il induit. Après avoir procédé à la mise à jour des chiffres initialement compilés par la professeure Geneviève Dufour7G. Dufour, op. cit., p. 18 et suiv. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014). en 2011, il nous est possible de présenter un portrait global des recours intentés en vertu du chapitre 11, en date de mai 2014 8Tous les montants de ce tableau sont présentés en devise américaine. Ces montants sont présentés à titre informatif seulement et ne sauraient être considérés exacts, ce qui s’explique par la nécessaire conversion en dollars américains de plusieurs montants disponibles uniquement en dollars canadiens, de même que par la constante fluctuation des taux de change. Nous référons le lecteur désirant obtenir plus d’information sur ces montants au texte de G. Dufour, ibid., p. 15 et suiv.:

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Il peut être intéressant de noter que toutes les poursuites intentées contre le Canada, sauf deux, et toutes les poursuites intentées contre le Mexique, sauf une, l’ont été par des investisseurs américains. On notera également avec intérêt que les États-Unis n’ont payé jusqu’ici aucun dommage aux investisseurs étrangers ayant eu recours au chapitre 11.

Voies de solution

Contrairement à ce que les États signataires avaient prévu, le chapitre 11 de l’ALENA a été interprété très libéralement par les arbitres. À tel point que des droits initialement conçus comme étant en principe délimités se sont vus conférer un important contenu matériel, permettant ainsi de condamner le Canada et le Mexique au paiement de dommages-intérêts substantiels. Les États-Unis – tout comme leurs investisseurs – s’en sont pour leur part très bien tirés. Le processus d’arbitrage du chapitre 11 et des autres dispositifs similaires soulève indéniablement plusieurs questions. Sans entrer dans les détails, on peut mentionner l’importance des coûts induits par un tel système. Aussi bien au regard des honoraires des cabinets d’avocats impliqués que des dommages octroyés par les arbitres. On note d’ailleurs que ces derniers appartiennent souvent à ces mêmes cabinets d’avocats. Mais, c’est vraisemblablement au plan de la cohérence juridique et de la transparence que ces mécanismes posent le plus de problème9Dominique Carreau, Patrick Juillard, Droit international économique, 5e éd., Paris, Dalloz, 2013, p. 599-600.. Il n’existe en effet rien de tel qu’une jurisprudence contraignante qui pourrait lier les arbitres et circonscrire de manière cohérente les pouvoirs d’interprétation de ces derniers. Les interprétations divergent, se contredisent et s’éloignent. Les dispositifs sont trop largement rédigés et permettent à des avocats astucieux de proposer des interprétations audacieuses que le sens commun récuse mais qui, dans cet écosystème fermé, apparaissent raisonnables et conformes aux intérêts bien compris des principales parties prenantes, les investisseurs.

Aucun mécanisme formel d’appel n’est prévu qui pourrait, pourtant, permettre d’assurer une interprétation étroite, consistante et ordonnée de dispositifs qui ne manquent pas de restreindre la capacité de l’État de dire le droit et, donc, sa souveraineté. Il s’agit là d’une question sérieuse. Or, ce système arbitral relève plus du bricolage administratif que d’une institution stable, établie et comptable d’une cohérence et d’une consistance juridiques. La bonne gouvernance nous y obligerait cependant… De plus, une observation de la pratique nous permet de noter que l’arbitrage État-investisseur est sous la coupe d’un certain nombre de grands cabinets internationaux d’avocats qui agissent tantôt comme arbitres et tantôt comme procureurs de l’investisseur, voire de l’État. Sans mettre en doute la compétence et le professionnalisme des acteurs, cette proximité ne va pas sans provoquer des incertitudes quant aux biais systémiques des décideurs-arbitres (écosystème fermé). La question de l’apparence d’indépendance et d’impartialité des arbitres apparaît suffisamment sérieuse pour soulever des doutes qui pourraient fort probablement entraîner leur récusation au regard des stricts critères d’indépendance et d’impartialité qui ont cours dans les tribunaux judiciaires au Canada. On sait qu’en ces matières, l’apparence prime sur toute autre considération. Or, l’importance des questions à trancher milite pour que ces mécanismes soient exempts de tout doute ou de tout flottement quant à l’intégrité des sentences rendues. Alors que le droit entoure les contestations judiciaires de la constitutionnalité ou de la légalité d’une norme nationale de mécanismes procéduraux et matériels stricts, contraignants et rigoureux, il devrait en être de même pour un dispositif qui permet de contester des normes nationales qui relèvent de choix sociaux, économiques ou culturels au cœur du principe de souveraineté.

Rappelons que le chapitre 11 limite de façon non négligeable la capacité de l’État souverain de dire le droit sur son territoire. Citons simplement ici le cas des droits à la protection des attentes légitimes des investisseurs et à la protection contre l’expropriation indirecte, lesquels constituent des boîtes de Pandore restreignant l’action normative de l’État, ne serait-ce qu’au regard de l’importance des montants qu’ils permettent aux investisseurs étrangers de réclamer. En effet, l’État peut toujours adopter les mesures qu’il souhaite, mais celles-ci ont alors un prix qui peut se révéler élevé. Les chiffres cités plus haut l’illustrent clairement. Ce type de dispositif est par conséquent susceptible de provoquer un « chilling regulatory effect », c’est-à-dire de restreindre l’inclination de l’État à légiférer dans l’intérêt public ou du bien commun d’une manière qui pourrait contrevenir aux prescriptions dudit dispositif.

Cette situation nous apparaît d’autant plus singulière que le chapitre 11 institue un véritable système judiciaire parallèle aux systèmes nationaux des États parties. Est-il nécessaire de préciser que le Canada, les États-Unis et l’Europe sont dotés de systèmes judiciaires d’une excellente qualité, indépendants et impartiaux ? Ceux-ci se trouvent néanmoins, à toutes fins utiles, dans l’incapacité d’agir en raison de la portée des dispositifs de protection des investisseurs. Ils sont tout simplement récusés au profit d’un processus arbitral qui ne répond pas aux mêmes critères de qualité institutionnelle. Ainsi, au Canada, la validité constitutionnelle du chapitre 11 a été, en quelque sorte, confirmée, en 2006, par la cour d’appel de l’Ontario. Dans l’affaire Council of Canadians v. Canada (Attorney General)10Council of Canadians v. Canada (Attorney General), 277 DLR (4th) 527 (ON CA)., les demandeurs soutenaient que la procédure d’arbitrage international instituée par le chapitre 11 privait les cours supérieures canadiennes de l’autorité leur étant constitutionnellement dévolue par l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 186711Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. 96., qu’elle portait atteinte aux principes de l’indépendance judiciaire et de la primauté du droit et qu’elle violait la Charte canadienne des droits et liberté12Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].. La cour a rejeté tous les arguments des demandeurs, en concluant que le chapitre 11 n’avait pas pour effet de retirer un pouvoir essentiel aux cours supérieures ou inhérent à leur juridiction13Council of Canadians v. Canada (Attorney General), préc., note 1, par. 55-56., pas plus qu’il ne portait atteinte aux principes de l’indépendance judiciaire et de la primauté du droit 14Id., par. 57.. En effet, la cour note que le législateur canadien n’a pas incorporé en droit interne l’ALENA. Il a simplement facilité, dans la Loi sur l’arbitrage commercial, la reconnaissance et la possible exécution par les tribunaux nationaux des sentences arbitrales rendues en vertu du chapitre 11 :

« There is a clear and well-known distinction between parliamentary approval of a treaty on the one hand, and incorporation of that treaty into Canadian domestic law on the other. See Canada (A.G.) v. Ontario (A.G.), [1937] A.C. 326 (P.C.) (Labour Conventions). The NAFTA [North American Free Trade Agreement – ALENA en français] Implementation Act clearly does the former, and just as clearly does not purport to do the latter. The provision in the Commercial Arbitration Act that makes decisions, once rendered by NAFTA tribunals, enforceable in Canadian courts, goes no further than just that. That legislation cannot be seen as a determination by Parliament to incorporate into Canadian domestic law the entire investor-state adjudication process, including the tribunal’s makeup, its procedures, its governing law and the defined limits within which it can act. »15Id., par. 25.

Finalement, la cour a conclu que toute violation de la Charte canadienne n’était, dans ces circonstances, que spéculative et que toute plainte à ce sujet était prématurée 16Id., par. 59.. La portée de cet arrêt est importante, puisqu’elle confirme que l’exclusion des tribunaux judiciaires de ce processus arbitral est le résultat d’une décision délibérée du gouvernement canadien. La Cour suprême du Canada a refusé, en 2007, de se prononcer sur cette affaire 17Council of Canadians v. Canada (Attorney General), préc., note 1 (requête pour permission d’en appeler rejetée, C.S.C., 26-07-2007, 31842). Cette requête fut rejetée sans motifs.. Il nous semble donc raisonnable d’en conclure que l’arrêt de la cour d’appel de l’Ontario a, en date d’aujourd’hui, définitivement tranché la question de la validité constitutionnelle du chapitre 11, l’évacuant du même coup du débat judiciaire canadien entourant le régime de protection des investisseurs établi par l’ALENA.

Il convient de se demander, au bout du compte, jusqu’à quel point l’insertion d’un mécanisme arbitral, tel que le chapitre 11, est nécessaire pour assurer la protection des investissements et contribuer au libre échange, dans la mesure où il n’existe aucun lien de cause à effet scientifiquement établi entre l’existence d’un tel dispositif et les fluctuations à la hausse des investissements étrangers18G. Dufour, op. cit., p. 17. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).. Ainsi, par exemple, l’accord de libre échange récemment conclu entre l’Australie et les États-Unis contient un chapitre sur la protection des investisseurs, mais « ne comporte pourtant aucune disposition relative au règlement des différends entre investisseurs et États » 19Approche européenne de la politique en matière d’investissement international après le traité de Lisbonne, Direction générale des politiques externes, Commission européenne, Bruxelles, 2010. Disponible à l’URL suivant :
http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2010/433854/EXPO-INTA_ET%282010%29433854_FR.pdf.
. De plus, plusieurs études, dont certaines de la Banque mondiale, soulignent que ce dispositif ne semble pas accroître les flux d’investissements vers les pays en développement. Le rapport de la Banque mondiale conclut que ce dispositif ne saurait remplacer de solides institutions locales et le respect du droit de propriété, bref un État de droit 20Asha Kaushal, « Revisiting History : How the Past Matters for the Present Backlash Against the Foreign Investment Régime », Harvard International Law Journal, 491, 2009, p. 508-509, cité dans G. Dufour, op. cit., p. 15 note 81. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).. Cependant, les États-Unis, le Canada ou l’Europe ne proclament-ils pas urbi et orbi être des États de droit ? Les tribunaux nationaux indépendants des pouvoirs exécutif et législatif pourraient donc aisément répondre aux besoins des investisseurs étrangers et assurer, comme ils le font déjà, le respect du droit de propriété. À moins de prétendre que la nationalité d’un juge canadien ou européen ne constitue un motif immédiat et irrémédiable de partialité et donc de récusation dans une affaire impliquant un investisseur étranger. On suppose alors que le juge ne peut s’abstraire de sa nationalité et constitue le serviteur des intérêts nationaux étroitement compris. Pourtant, on note que les arbitres sont souvent d’anciens juges (à la retraite ou démissionnaires) revenus à la pratique du droit. Seraient-ils plus indépendants maintenant au regard de leur État national que lorsqu’ils étaient juges en bonne et due forme ?

En tout état de cause, le recours au chapitre 11 a de nombreuses implications pour la souveraineté, l’intérêt national et le bien commun, de même que pour l’intégrité du processus démocratique. Si ce type de dispositif devait demeurer et persister dans l’exclusion des tribunaux judiciaires nationaux, il serait nécessaire d’institutionnaliser l’arbitrage opéré en vertu du chapitre 11 de l’ALENA afin d’en assurer la transparence, d’en contrôler les coûts et de favoriser une jurisprudence cohérente, stable, réellement prévisible et, surtout, détachée des biais systémiques induits par la pratique actuelle faite d’une proximité troublante. Cette institutionnalisation passe, entre autres, par la création d’une chambre d’arbitrage professionnelle composée de décideurs permanents et inamovibles (nommés pour un mandat non renouvelable de cinq ou sept ans, par exemple).

Réferences

Accord de libre-échange nord-américain intervenu entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États mexicains unis et le gouvernement des États-Unis, 17 décembre 1992, 32 ILM 289, 605 (ci-après l’« ALENA »)
Geneviève Dufour, « Le cas du chapitre 11 de l’ALENA : son impact sur la capacité de l’État d’agir pour le bien public et de gérer le risque », Lex Electronica, 17-1, 2012, p. 6. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).
Ibid.
Ibid., p. 7. « Before NAFTA Chapter 11, investor-state dispute settlement simply did not exist on the radar screen of trade policy analysts, antitrade activists or most international lawyers. It was the province of a small clique of practitioners specializing in international commercial arbitration, working either for investors or governments of developing countries on disputes arising from relationships that had gone awry. Although it lay dormant for the first few years of its existence, NAFTA Chapter 11 became the catalyst which would change this status quo. A few “entrepreneurial” lawyers (as we were called by politicians and government lawyers at the time) realized that the obligations contained within Chapter 11 were as applicable to the conduct of governments in economically developed countries as they were to those of the developing world », Todd Weiler, « The Significance of NAFTA Chapter 11 for the Development of International Economic Law », dans Todd Weiler (dir.), Nafta Investment Law and Arbitration : Past Issues, Current Practices, Future Prospects, New York, Transnational Publishers, Inc., 2004, p. 3.
Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, 18 mars 1965, CIRDI/15.
Lire notamment Julien Cazala, « La protection des attentes légitimes de l’investisseur dans l’arbitrage international », Revue internationale de droit économique, XXIII, 5, 2009.
G. Dufour, op. cit., p. 18 et suiv. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).
Tous les montants de ce tableau sont présentés en devise américaine. Ces montants sont présentés à titre informatif seulement et ne sauraient être considérés exacts, ce qui s’explique par la nécessaire conversion en dollars américains de plusieurs montants disponibles uniquement en dollars canadiens, de même que par la constante fluctuation des taux de change. Nous référons le lecteur désirant obtenir plus d’information sur ces montants au texte de G. Dufour, ibid., p. 15 et suiv.
Dominique Carreau, Patrick Juillard, Droit international économique, 5e éd., Paris, Dalloz, 2013, p. 599-600.
Council of Canadians v. Canada (Attorney General), 277 DLR (4th) 527 (ON CA).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.), art. 96.
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].
Council of Canadians v. Canada (Attorney General), préc., note 1, par. 55-56.
Id., par. 57.
Id., par. 25.
Id., par. 59.
Council of Canadians v. Canada (Attorney General), préc., note 1 (requête pour permission d’en appeler rejetée, C.S.C., 26-07-2007, 31842). Cette requête fut rejetée sans motifs.
G. Dufour, op. cit., p. 17. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).
Approche européenne de la politique en matière d’investissement international après le traité de Lisbonne, Direction générale des politiques externes, Commission européenne, Bruxelles, 2010. Disponible à l’URL suivant :
http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2010/433854/EXPO-INTA_ET%282010%29433854_FR.pdf.
Asha Kaushal, « Revisiting History : How the Past Matters for the Present Backlash Against the Foreign Investment Régime », Harvard International Law Journal, 491, 2009, p. 508-509, cité dans G. Dufour, op. cit., p. 15 note 81. En ligne : <http://www.lex-electronica.org/docs/articles_307.pdf > (consulté le 1er juillet 2014).
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À propos de l'auteur

Karim Benyekhlef et Alexandre Thibeault

Karim Benyekhlef est directeur scientifique du CÉRIUM (Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal) depuis juin 2009. Professeur à la faculté de droit de l’université de Montréal depuis 1989, il est détaché au Centre de recherche en droit public (CRDP) depuis 1990, dont il assure la direction depuis 2006. Membre du Barreau du Québec depuis 1985, il a exercé au sein du ministère fédéral de la Justice de 1986 à 1989. Ses champs d’enseignement et de recherche sont le droit des technologies de l’information, le droit constitutionnel (droits et libertés de la personne), le droit international, la théorie et l’histoire du droit. Karim Benyekhlef a fondé en 1995 la revue juridique électronique Lex Electronica. Il est également l’instigateur des premiers projets de règlement en ligne des conflits (Projet CyberTribunal, 1996-1999, eResolution, 1999-2001, ECODIR, 2000). Il a aussi participé à l’élaboration de programmes de bonne gouvernance en Afrique et dans les Caraïbes (Agence canadienne de développement international, Nations unies et Commission européenne). Il est l’auteur, avec le professeur Fabien Gélinas de la faculté de droit de l’université McGill, de l’ouvrage paru en 2003 aux Éditions Romillat (Paris) Le Règlement en ligne des conflits. Enjeux de la cyberjustice. Il a également publié en 2008 aux Éditions Thémis (Montréal) Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation, pour lequel il a obtenu le prix de la Fondation du Barreau du Québec en 2009.

Alexandre Thibault est avocat et candidat à la maîtrise à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.